L'ordre d'incarcération immédiate d'un député condamné pour malversations lancé mercredi par la Cour suprême du Brésil, une première en 25 ans, est un début de réponse au «Basta!» de la rue contre la corruption, fléau qui ronge le pays depuis des décennies, selon des experts.

La presse et le cinéma montrent la corruption au Brésil comme un monstre à plusieurs têtes, avec la police, classe politique et entrepreneurs véreux en têtes d'affiche: pots-de-vin, paiement de faveurs, trafic d'influence.

«La corruption coûte de 50 à 80 milliards de reais par an (environ 24 à 38 milliards de dollars) au pays, l'équivalent de 1,4 à 2,3% de toute la richesse produite (PIB)», déclare à l'AFP, le secrétaire général et fondateur de l'ONG «Comptes ouverts», Gil Castello Branco.

«Cela correspond à ce que le gouvernement a investi en quatre ans (50 mds reais) dans son programme d'accélération de la croissance, en routes, aéroports, ports ou encore à la construction de près d'un million de logements ou de 57 600 écoles», souligne-t-il.

Les chiffres sont issus d'une étude de décembre 2012, de la puissante Fédération des industries de Sao Paulo (Fiesp), qui a essayé de quantifier ce fléau.

Septième économie de la planète, le Brésil arrive juste derrière la Chine parmi les pays émergents les plus corrompus, selon l'ONG Transparency International.

«La note du Brésil est inférieure à 4 sur 10 depuis 1995», déplore Claudio Abramo le directeur de Transparency Brésil.

Les Brésiliens ont le sentiment que «le crime paye», que le Brésil est le pays de l'impunité, ce qui entraîne une «tolérance brésilienne» à la corruption, selon lui.

Plusieurs facteurs y contribuent: l'immunité parlementaire, le fait que les élus ne peuvent être jugés par des tribunaux ordinaires, un secret bancaire excessif, le financement des campagnes électorales par des entreprises privées qui se voient attribuer ensuite des marchés publics.

«Il y une pratique enracinée au Brésil: la répartition des principaux postes du gouvernement entre les partis alliés en échange de leur appui parlementaire», explique Claudio Abramo.

Et tout ceci avec, en toile de fond, la lenteur de la justice et l'impunité, selon les experts.

La Cour suprême a condamné l'an dernier à de lourdes peines de prison d'anciens ministres et dirigeants du Parti des travailleurs (PT, gauche) au pouvoir dans le cadre du vaste procès de corruption du «Mensalao».

Ces derniers ont été reconnus coupables d'achats de vote de députés de partis alliés au parlement en 2005, pendant le premier mandat de l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, qui avait échappé de peu à la destitution.

«Mais dans le cas du Mensalao, il faudra attendre encore deux ans pour conclure; la population ne croit plus qu'ils iront en prison», estime Castello Branco.

«Honte d'être honnête»

Certains historiens attribuent à la corruption des racines historiques: la colonisation portugaise «qui a créé le personnage du capitaine tout puissant dans une région» et la longue période de l'esclavage (aboli en 1888 seulement) où tout type d'exploitation était permis.

«On en vient presque à avoir honte d'être honnête», plaisante Castello Branco. Du coup, tout le monde finit par trouver normal d'acheter des CDs piratés, de payer des pots-de-vin à des policiers mal formés et mal payés ou de doubler en voiture sur la bande d'arrêt d'urgence des autoroutes.

Au Sénat, 140 projets de loi contre la corruption jamais examinés moisissent dans les tiroirs.

Après quinze jours de fronde sociale et de manifestations historiques, les protestataires ont obtenu quelques timides avancées.

La présidente Dilma Rousseff a proposé de criminaliser le délit de corruption en l'assortissant de peines très sévères. Le Sénat a voté mercredi un projet dans ce sens en première lecture.

Pour la première fois en 25 ans, la Cour suprême a ordonné l'incarcération immédiate d'un député condamné en 2010 pour malversations.

Et dans la nuit de mardi à mercredi, les députés ont enterré en un temps record et à une majorité écrasante un projet très critiqué par la rue visant à retirer leurs pouvoirs d'enquête aux parquets, en pointe dans les affaires de corruption.

«Il y a un mois ce projet aurait été approuvé», affirme M.Castello Branco.