Dans un pays qui n'avait pas vu de manifestations depuis quelque 20 ans, voilà que plus de 1 million de Brésiliens sont descendus dans la rue cette semaine pour protester contre le coût du transport en commun, les dépenses de la Coupe du monde et la corruption politique. La présidente du pays, Dilma Rousseff, a convoqué vendredi une réunion d'urgence. Portrait d'une politicienne qui vit dans l'ombre de son prédécesseur.

En mars, tout allait pour le mieux pour Dilma Rousseff. Nommée deuxième femme la plus puissante du monde après Angela Merkel par Forbes, la présidente brésilienne récoltait une cote de popularité de 79 % dans les sondages. Trois mois plus tard, elle a maintenant sur les bras le plus gros mouvement de protestation brésilien depuis la fin de la dictature.

Sa réaction aux manifestations, qui se sont étendues à une centaine de villes au Brésil, est cependant à des années-lumière de celle du premier ministre turc.

Au cours de la semaine, la présidente s'est dite «fière» de voir les Brésiliens se lever pour demander un «pays meilleur», a annulé deux voyages à l'étranger et convoqué une réunion d'urgence avec des ministres clés pour faire face à la vague de ressentiment.

« C'est une femme de gauche, qui a été emprisonnée pour ses convictions. Elle ne va pas reproduire le modèle de répression de la Turquie. Elle risque plutôt d'établir un dialogue avec les manifestants», note Anne Latendresse, directrice du Centre d'études et de recherche sur le Brésil à l'Université du Québec à Montréal.

»Jeanne d'Arc» brésilienne

Fille d'un entrepreneur bulgare prospère qui a immigré en Amérique latine pour fuir la répression politique dans son pays natal, Dilma Rousseff a été élevée dans un milieu bourgeois, mais ouvert aux idées de la gauche.

Elle n'avait que 17 ans quand elle s'est jointe à des groupes militants marxistes et 20 ans quand elle est devenue membre du Commando de libération nationale, un mouvement de résistance armé opposé à la dictature militaire.

Arrêtée en 1970, elle est accusée par le régime d'être «la Jeanne d'Arc de la subversion», torturée et emprisonnée pendant près de trois ans. Ce séjour derrière les barreaux n'a pas altéré ses idéaux. Après la chute de la dictature, elle fonde un parti de gauche, le Parti démocratique travailliste. Un conflit au sein de l'organisation la mène à joindre le Parti des travailleurs, dans lequel elle devient vite une proche de Luiz Inácio Lula da Silva.

Quand ce dernier devient président du pays, porté par une vague d'espoir, Dilma Rousseff est nommée ministre de l'Énergie avant d'occuper le poste de chef de cabinet de Lula.

C'est au cours du règne de ce dernier qu'ont été lancés les grands projets qui sont aujourd'hui au coeur du mouvement de protestation populaire. Lula était au pouvoir quand le Brésil a obtenu la Coupe du monde de soccer, une victoire accompagnée d'une facture salée de près de 15 milliards de dollars. «Les mégaprojets de Lula ont amené une hausse du coût de la vie à Rio et à São Paulo. Il y a actuellement dans les grands centres urbains une crise du logement. Des populations ont été évincées» pour faire de la place aux infrastructures, note Mme Latendresse.

En 2003, l'annonce de la venue de la Coupe du monde a été célébrée en grande pompe au Brésil, mais après les fleurs récoltées par Lula, Dilma Rousseff reçoit aujourd'hui le pot, explique l'experte. «C'est maintenant que les impacts négatifs sur la vie des gens se font sentir.»

La dauphine de Lula, qui a longtemps profité de l'aura de popularité de son prédécesseur, devra maintenant trouver sa propre voie pour calmer le jeu. «Une chose est certaine, à un an de la Coupe du monde, elle doit impérativement gérer la crise et s'assurer que la situation se résorbe», conclut Mme Latendresse.