Une fraction importante des 166 personnes toujours détenues à la prison militaire de Guantánamo poursuivent depuis plusieurs semaines une grève de la faim pour exprimer leur indignation aux autorités américaines.

La quasi-totalité des hommes regroupés dans le camp 6, le plus populeux de la base, refusent notamment de se nourrir, souligne Omar Farah, avocat du Center for Constitutional Rights (CCR) de New York qui représente plusieurs prisonniers.

«Tout ce que l'on voit là-bas survient avec en trame de fond 11 années de détention arbitraire sans procédures judiciaires. Le niveau de désespoir est extrême et les derniers incidents ont poussé les détenus au point de cassure», note-t-il en entrevue.

Dans une lettre transmise il y a quelques jours au ministre de la Défense américain, Chuck Hagel, M. Farah et des dizaines de collègues affirment avoir reçu des rapports «alarmants» sur l'état de santé des grévistes.

Certains d'entre eux, relève le document, ont perdu près d'une vingtaine de kilos et «au moins deux douzaines se sont évanouis à cause de faibles niveaux sanguins de glucose».

Les avocats affirment que le mouvement de protestation a été initialement déclenché par la fouille d'exemplaires du Coran - un acte vu comme une «profanation religieuse» - ainsi que par la confiscation de photos et de lettres personnelles.

Les prisonniers affirment par ailleurs que les derniers mois ont été marqués par le recours à des mesures de plus en plus répressives.

L'armée américaine, qui supervise la prison, maintient que le mouvement de protestation a une envergure bien moindre.

Un porte-parole militaire a souligné cette semaine qu'une vingtaine de détenus poursuivaient leur grève de la faim et qu'une dizaine d'entre eux sont nourris de force.

L'armée nie par ailleurs toute profanation religieuse. «C'est n'importe quoi. Il n'y a eu absolument aucune mauvaise manipulation» du Coran, a affirmé mercredi le général John Kelly.

Promesse non tenue

La grève de la faim, quelle que soit son importance réelle, replace dans l'actualité la promesse de fermeture du centre de détention faite dans le passé par le président américain Barack Obama.

Le chef d'État, souhaitant rompre avec les politiques de son prédécesseur en matière de lutte contre le terrorisme, avait promis à son arrivée au pouvoir de vider l'établissement en un an.

Il avait alors martelé que la démarche était nécessaire pour rétablir l'image des États-Unis, particulièrement dans le monde musulman. «Nous ne continuerons plus à exercer un faux choix entre notre sécurité et nos idéaux», a-t-il affirmé.

Sa promesse n'a pas été respectée. Même les commissions militaires mises sur pied pour juger les détenus, que le président Obama avait dénoncées, ont été maintenues en place.

Le Congrès s'est opposé à ce que des prisonniers soient renvoyés vers des centres de détention aux États-Unis et jugés devant les tribunaux civils. L'administration a aussi éprouvé beaucoup de difficultés à trouver des pays acceptant de recueillir les détenus. Non moins de 86 d'entre eux sont considérés «libérables», mais demeurent à Guantánamo.

Julian Zelizer, professeur d'histoire et d'affaires publiques à l'Université de Princeton, pense que le président a mal évalué les retombées politiques de son annonce de fermeture.

«Les protestations émanant des deux grands partis ont été particulièrement fortes. Plusieurs élus démocrates ont eu peur des attaques du camp républicain et des réactions de leurs propres électeurs», relate ce spécialiste.

Le président a finalement conservé plusieurs mesures de lutte contre le terrorisme de l'administration de George W. Bush qu'il avait fustigées avant d'être élu, souligne M. Zelizer.

Obama «responsable»

Omar Farah affirme que le chef d'État américain est l'ultime responsable du maintien de la prison même s'il aime bien faire croire que le Congrès est responsable du blocage.

Il pourrait accélérer les choses en usant de ses pouvoirs discrétionnaires, mais préfère s'abstenir, selon lui, par calcul politique.

«Le président a accepté que la prison de Guantanamo fasse partie de son héritage politique. C'est tout simplement honteux, particulièrement à la lumière des critiques qu'il avait formulées au moment de son élection», souligne l'avocat du CCR.

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Guantánamo en chiffres

2002

Arrivée sur la base de Guantánamo des premiers prisonniers appréhendés dans le cadre de la «guerre au terrorisme» lancée par l'administration de George W. Bush.

4

Années écoulées depuis que le président américain Barack Obama a annoncé son intention de fermer la prison.

779

Personnes transférées à la prison depuis 2002.

166

Personnes toujours détenues à Guantánamo (nombre approximatif).

86

Détenus pouvant être libérés selon une commission d'évaluation, mais qui demeurent encore emprisonnés.