En Argentine, c'est l'un des procès de l'année. La justice s'apprête à rendre son verdict contre 13 personnes soupçonnées de faire partie d'un réseau de proxénètes, accusés de l'enlèvement de la fille de Susana Trimarco. Depuis 10 ans, cette mère courage mène une lutte acharnée pour retrouver sa fille -en allant jusqu'à se déguiser en prostituée- et en finir avec l'esclavage sexuel. Grâce à elle, des centaines de victimes ont été libérées. Notre collaboratrice l'a rencontrée.

Regard d'acier et talons hauts, elle affiche une détermination imperturbable. «Je ne me tairai pas tant qu'on ne me rendra pas Marita», clame Susana Trimarco à la sortie du tribunal de Tucumán, au nord de l'Argentine.

Depuis 10 ans, cette mère remue ciel et terre pour retrouver sa fille, qu'aurait séquestrée un réseau de proxénètes. Le 27 novembre, à l'issue de 10 mois d'audiences, la justice doit rendre son verdict contre les 13 accusés. Un jugement très attendu, car cette affaire est devenue celle de la lutte contre l'esclavage sexuel, et Susana son porte-drapeau.

Notamment décorée par le gouvernement canadien en mars dernier, la plaignante de 58 ans est en lice pour le prochain Nobel de la paix. À Tucumán, elle nous ouvre la porte de la fondation qu'elle a créée pour sauver des filles de l'esclavage sexuel.

Encadré sur son bureau, le sourire d'une belle brune de 23 ans, sa fille Marita Veron, rayonne. Le 3 avril 2002, la jeune femme avait rendez-vous chez le médecin. Avant de partir, elle a confié son bébé de 3 ans à Susana, lui a dit qu'elle reviendrait très vite. Elle n'est jamais revenue.

Elle infiltre les bordels

La police fait la sourde oreille. Susana Trimarco commence donc à enquêter, seule. «Je la revois encore, sa petite-fille dans les bras, frappant à toutes les portes du tribunal», relate l'un de ses avocats.

C'est un témoignage anonyme qui la met sur la piste d'un vaste réseau mafieux. Parmi les suspects figurent notamment une voisine qui aurait vendu Marita, un chauffeur de taxi vu en train de la forcer à entrer dans sa voiture, le chef de la mafia locale, un policier, la tenancière d'un bordel, mais aussi un juge, un ex-gouverneur, des ministres de la province...

Pour en savoir plus, Susana infiltre des bordels déguisée en prostituée et en proxénète. Elle rencontre plusieurs filles qui disent avoir croisé Marita, les aide à s'échapper, les convainc de témoigner.

Au départ, cette mère qui parle trop n'a pas bonne presse. On accuse son mari et elle d'avoir tué leur fille, de chercher de l'argent. S'ajoutent des menaces de mort. «En général, ces intimidations font taire les familles de victimes», souligne Susana. Elle ne plie pas. Et son acharnement finit par mettre sur la place publique le problème de la traite.

Un système implacable

Issues des provinces les plus pauvres comme Tucumán, de Bolivie, du Pérou ou du Paraguay, les filles sont détournées vers Buenos Aires, la Patagonie, le Mexique, l'Europe. La plupart sont trompées par des offres de travail alléchantes. D'autres, souvent déjà victimes de sévices dans leur entourage, sont conduites à se prostituer, puis enfermées contre leur gré.

Les sévices s'enchaînent alors pour briser leur volonté, drogues, coups, passes répétées, enfermement, papiers volés, déplacements réguliers. «Un système implacable», dénonce Susana Trimarco. La corruption des autorités, le machisme participent à ce système.

L'affaire Marita Veron a toutefois permis des avancées. Depuis 2008, une loi fédérale contre la traite autorise une province à enquêter dans une autre. Une unité de police (UFASE) consacrée à cette question et un numéro d'urgence ont été créés.

À Tucumán, les bordels viennent même d'être interdits. Enfin, lors du réquisitoire, le procureur a créé la surprise en réclamant des peines allant jusqu'à 25 ans de prison. Susana Trimarco, quant à elle, a demandé un peso symbolique et, surtout, qu'on lui dise ce qu'est devenue sa fille, toujours portée disparue.