La nuit venait de tomber. Alejandro Vargas et son copain Carlos Pineda rentraient à la maison après avoir célébré un d'anniversaire chez des amis. Les deux étudiants roulaient dans un quartier aisé de Tegucigalpa, la capitale du Honduras.

>> Voyez notre galerie photo sur les violences au Honduras

On a retrouvé leurs corps dans une zone isolée, à l'extérieur de la ville. Ils avaient été exécutés d'une balle dans la tête.

Les policiers ont raconté à la mère d'Alejandro, Julieta Castellano, que les meurtres étaient liés à une affaire de drogue et de gangs de rue. C'est l'explication d'usage au Honduras, le pays le plus meurtrier de la planète - où 9 homicides sur 10 ne sont jamais résolus.

Julieta Castellano n'y a pas cru. Rectrice de l'Université autonome du Honduras, elle a mené sa propre enquête. On a tenté de l'en empêcher. On l'a menacée. Elle a persisté et a découvert que les meurtriers étaient en fait... des policiers.

«C'était le soir du 22 octobre 2011, raconte-t-elle. Les agents ont fait feu sur la voiture et ont blessé mon fils. Son ami a supplié les policiers de le conduire à l'hôpital. Mais plutôt que les aider, ils les ont emmenés hors de la ville, où ils les ont assassinés tous les deux.»

Dans ce pays ultraviolent, les policiers sont presque aussi dangereux que les narcotrafiquants. Le jour, ils rançonnent les automobilistes. La nuit, certains d'entre eux se transforment carrément en tueurs. «Le crime organisé a infiltré la police nationale à tous les échelons», dit Mme Castellano. Les opérations de narcotrafic sont parfois menées par les agents eux-mêmes. Leurs patrons, soudoyés par les cartels mexicains, ferment les yeux. Et roulent en voiture de luxe.

Les Honduriens sont habitués aux macabres faits divers qui défilent à coeur de jour sur leur écran de télé. Ici, un massacre en chasse un autre.

Il reste que le meurtre d'Alejandro Vargas et Carlos Pineda a soulevé un fort vent d'indignation. Le scandale a forcé le gouvernement à nettoyer les forces policières de ses éléments les plus corrompus. Des dizaines de chefs de police ont été limogés. Jusqu'ici, 176 agents ont été accusés de vol, de meurtre, d'enlèvement et de trafic de drogue.

Une réforme bienvenue, mais encore loin d'être achevée.

Des enfants perdus

«Il y a 87 morts violentes par tranche de 100 000 habitants au Honduras. C'est pire que l'Afghanistan ou l'Irak. Et ce n'est pas qu'un chiffre; c'est la réalité que nous vivons tous les jours. Il est difficile de mener une vie normale. Les rues se vident à 19h chaque soir. Les prisons débordent. Les gens ont été abandonnés à leur sort», se désespère José Manuel Capellin, directeur du refuge pour enfants Casa Alianza.

«Cette terrible violence a de multiples causes. D'abord, 40% de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Ensuite, il y a la désintégration des familles provoquée par la migration massive aux États-Unis, en plus des centaines de milliers d'armes en circulation, de la corruption et de l'impunité», ajoute-t-il.

Dans ce pays où 51% de la population a moins de 18 ans, les victimes sont trop souvent des enfants.

Depuis 25 ans, M. Capellin a tiré des milliers de jeunes des rues de Tegucigalpa. Ses pensionnaires le surnomment abuelo (grand-papa). Leurs yeux brillent quand ils aperçoivent ce gros ours à l'épaisse moustache. Ils étirent leurs bras maigres pour l'enlacer avec tendresse.

Le regard de grand-papa s'assombrit. Il sait trop bien que, parmi ces enfants, quelques-uns passeront entre les mailles de son filet.

«La semaine dernière, nous avons perdu trois enfants. Une fille de 14 ans a été violée et assassinée tout près d'ici, au centre-ville, et deux garçons de 14 et 17 ans ont été tués dans une querelle entre gangs de rue.»

Le refuge a son propre cimetière, où sont enterrés 80 enfants assassinés. «Nous essayons de les protéger dans la vie, mais aussi dans la mort. Personne d'autre ne s'occupe d'eux.»

M. Capellin est convaincu que le gouvernement du Honduras fait fausse route en misant sur la répression. «La réponse est toujours d'envoyer plus de policiers, qui battent les jeunes ou les tuent. C'est plus complexe. Il faut lutter contre des modèles économiques qui appauvrissent les gens et les empêchent de trouver des emplois.»

Il craint de voir son pays s'enfoncer encore plus dans la violence. «Il faut s'intéresser à la prévention et à la réintégration des membres de gang dans la société. Sans quoi le chemin sur lequel notre pays est malheureusement engagé sera sans retour.»