Des communautés autochtones se mobilisent pour chasser les protagonistes d'un conflit qui ensanglante la Colombie depuis un demi-siècle. Les indigènes de la province du Cauca en ont assez. Ils réclament le départ de l'armée et de la guérilla de leurs territoires, raconte notre collaborateur.

«On se lève le matin au son des rafales de mitraillette et ça se poursuit toute la journée. Les gens de la communauté ont arrêté de travailler et les classes ont été suspendues. Il y a quelques jours, une explosion a endommagé l'hôpital et blessé une infirmière.»

Dora Salas, 33 ans, habite l'une des réserves indigènes les plus touchées par les combats qui secouent depuis près de trois semaines le Cauca, au sud-ouest de la Colombie.

Pris dans le feu croisé entre l'armée et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), les peuples autochtones de la région en ont assez d'être les victimes d'un conflit qui a transformé leur territoire ancestral en champ de bataille. «Nous n'allons pas permettre que les groupes armés nous donnent des ordres et nous disent où marcher», soutient Dora Salas.

Les organisations indigènes exigent le départ des groupes armés, légaux et illégaux. Mais ni la guérilla des FARC, ni l'armée colombienne n'ont l'intention de se retirer de la région.

L'expulsion d'une centaine de militaires d'un site indigène sacré la semaine dernière a donné lieu à une intervention des forces de l'ordre qui a fait 23 blessés parmi les militants autochtones. Lors d'un incident séparé, l'armée a abattu un paysan près d'un barrage militaire.

Depuis, les représentants indigènes ont entamé un dialogue avec le gouvernement dans l'espoir de trouver une solution au conflit.

Une poudrière

La province du Cauca se situe au carrefour de puissants intérêts économiques et stratégiques qui ont transformé la région en une véritable poudrière. Près de 6000 personnes ont fui les combats dans la zone, selon le Comité international de la Croix-Rouge.

«Nous ne partirons pas puisque nous sommes les propriétaires originels de cette terre», assure Rafael Coicué, membre de l'Association des conseils indigènes du nord du Cauca.

L'indigène nasa a perdu un oeil lors d'une intervention de l'escouade antiémeute dans son village en 2008. «Nous demandons simplement que le gouvernement respecte notre droit à l'autonomie et qu'il cesse de nous accuser de collaborer avec la guérilla», dit-il, ajoutant que la constitution colombienne garantit les droits des peuples autochtones.

Le gouvernement mène depuis février une offensive militaire qui vise à reprendre le contrôle du territoire encore aux mains des FARC. Le nord du Cauca a vu naître la guérilla, il y a près de 50 ans. Les rebelles y sont bien implantés. Une terre symbolique, mais aussi stratégique pour les FARC qui en ont fait un important couloir de production et de transport de drogue.

Le président colombien Juan Manuel Santos a signalé qu'il n'est pas question que l'armée se retire de la région.

Selon le politologue colombien Alejo Vargas, il est d'autre part peu probable que la guérilla obéisse aux revendications autochtones. «Les FARC peuvent se replier, mais elles reviendront tôt ou tard, dit-il. Les demandes autochtones sont légitimes, mais les FARC n'accordent aucune importance aux organisations indigènes.»

«Le gouvernement devrait plutôt reconnaître les communautés indigènes et investir dans les programmes sociaux pour que l'État soit finalement perçu comme un allié, estime M. Vargas. Ce n'est pas évident car il y a toujours eu beaucoup de méfiance envers les autochtones, particulièrement de la part des militaires.»