En Argentine, pays du soja roi, un procès historique couronne le combat d'une mère contre les pesticides.

En 2001, Sofia Gatica était une femme au foyer, sans diplôme ni passé militant. En 2012, cette mère argentine a décroché la plus haute distinction environnementale, le prix Goldman, surnommé le «Nobel vert». À la clé, une belle somme d'argent mais surtout une reconnaissance «qui donne le courage de continuer à lutter», confie la lauréate de 45 ans. Car cette grande blonde s'est attaquée à un géant: le soja OGM et ses dommages collatéraux. À son initiative, se tient ces jours-ci un procès historique. Pour la première fois en Amérique latine, des producteurs de soja sont jugés pour fumigation de pesticides sur une zone habitée.

«J'ai appris à me battre pour mes enfants, notre droit à la santé, à la vie», raconte-t-elle. Tout commence il y a 13 ans, après le décès d'un de ses bébés d'une malformation des reins, dont elle parle encore avec émotion. Elle réalise alors que de nombreuses maladies inexpliquées frappent son quartier d'Ituzaingo, périphérie ouvrière de la ville de Cordoba. Ici, leucémies et cancers; là, becs de lièvre, allergies, problèmes neurologiques...

Taux de cancers plus élevé

Les études qu'elle réclame confirment ses observations. Sur 5000 habitants, le taux de cancers est 41% plus élevé qu'au niveau national. Et deux fois plus d'enfants ont des produits toxiques agricoles dans le sang.

C'est le cas d'une autre fille de Sofia Gatica, frappée de paralysie chronique. «Cela arrivait au moment des fumigations de pesticides sur les champs de soja», explique-t-elle. Des champs qui cernent les habitations, à moins de 5 mètres. Ce qui explique les pathologies du quartier pour Sofia Gatica.

Avec des voisines, elle fonde l'association des Mères d'Ituzaingo et obtient la création d'une distance de sécurité de 2500 mètres. Mais des producteurs continuent à fumiger sur leur foyer. Pour se faire respecter, elles pénètrent donc les propriétés des agriculteurs, convoquent les médias, vont jusqu'à parler de «génocide», commencent à faire du bruit. Et à se faire des ennemis. «Il y a d'abord eu des appels anonymes. Et puis, un jour, un homme est entré chez moi avec une arme», se souvient-elle. «Arrête de nous emmerder avec le soja», a-t-il menacé.

Mainmise de Monsanto

Certains voisins n'apprécient pas de voir le quartier dévalué. Surtout, le soja brasse de gros intérêts: plus de 60% des champs argentins lui sont consacrés.

À 90%, ces graines sont des OGM de Monsanto, conçues pour résister à l'herbicide «miracle» de la même firme, le Roundup, qui tue toute autre plante et se voit donc déversé par millions de litres. Monsanto nie ses dangers mais des études ont montré des effets néfastes sur la santé, tandis que l'ONU a classé «très toxique» un pesticide encore très utilisé en Argentine, l'endosulfan.

«Les entreprises font ce qu'elles veulent, car les autorités sont complaisantes», dénonce Sofia Gatica.

Il faut dire que les exportations de soja représentent la première source de devise de l'État... Aujourd'hui, les Mères réclament donc la fin des fumigations aériennes et le respect de distances de sécurité dans tout le pays.

Le verdict attendu au début du mois prochain fera-t-il avancer leur cause? Les deux producteurs et le pilote d'avion accusés risquent jusqu'à 10 ans de prison pour épandage illicite. Et jusqu'à 25 ans si la cause de morts est prouvée. «Ils ne représentent qu'un petit échelon, mais une condamnation créerait un précédent important dans notre pays où 12 millions de personnes vivent à proximité de zones fumigées», espère Sofia Gatica.

Un collectif national a déjà été créé. Et il ne chômera pas: en juillet, Monsanto a négocié avec le gouvernement argentin la construction d'une station expérimentale et de la plus grande usine de production de grains de maïs en Amérique centrale, un investissement de 365 millions de dollars.