Une rumeur métallique court dans les rues de Buenos Aires. Jeudi soir, pour la troisième fois en une semaine, des concerts de casseroles ont retenti dans les rues de la capitale argentine, principalement sur la place de Mai, devant le palais présidentiel.

Le mouvement est limité -selon la police, quelque 6000 personnes ont défié le froid qui s'est abattu sur la ville - mais son poids symbolique est très fort, car il rappelle les manifestations de la grande crise économique de 2001. À l'époque, la classe moyenne, dont les comptes bancaires avaient été bloqués et dévalués, avait attiré l'attention du monde entier en se faisant «cacerolaza».

Jeudi soir, les slogans et banderoles pointaient l'insécurité, la corruption et l'inflation, qui atteint 25% par an. Mais ce qui semble avoir donné le coup d'envoi des défilés, ce sont les restrictions sévères imposées à l'achat de dollars, valeur refuge en Argentine. Dans ce pays à l'instabilité chronique et frappé par une inflation volontairement sous-estimée par le gouvernement, les économies ainsi que les transactions immobilières se font en billets verts. Et non en pesos.

Or, depuis début juin, il est presque impossible d'obtenir des devises étrangères pour voyager. «C'est une atteinte aux libertés individuelles!» s'insurge Luciana, 39 ans, qui se rendait jeudi vers la place de Mai. De plus, la nouvelle loi prévoit que pour voyager, il faut remplir une déclaration en ligne, en indiquant ses revenus, sa situation professionnelle, pourquoi, comment et quand l'on souhaite partir à l'étranger. Les réponses sont très aléatoires.

Officiellement, ces contrôles visent à lutter contre le blanchiment et l'évasion fiscale, des maux bien ancrés dans le pays. «Nous devons vérifier que les fonds changés proviennent d'une situation légale», a expliqué aux médias le sénateur Anibal Fernandez. Mais cette soudaine fermeture des guichets s'explique aussi par le manque de liquidités de l'État, alors que le paiement d'obligations arrive à échéance et que le pays est toujours interdit de crédit sur les marchés internationaux après avoir suspendu le paiement de sa dette en 2002.

Pour apaiser la grogne, la présidente Cristina Kirchner a elle-même annoncé la «pesification» de ses comptes.

Un léger vent de panique souffle à nouveau dans ce pays habitué aux crises. Par peur d'une soudaine pesification de l'économie, 10% des dépôts en dollars ont été retirés en 15 jours, selon la banque centrale. Et les combines se multiplient pour trouver à tout prix des devises américaines. Durant le mois de mai, le cours du dollar parallèle a bondi de 20%. Pour le bonheur des spéculateurs. Dans la rue Florida, zone piétonne du centre-ville et fief du marché noir, de plus en plus de changeurs ambulants proposent leurs services à la criée.

La situation est très loin d'être aussi critique qu'en 2001. Une large partie de la population se moque des récents «cacerolazos»: «Ce sont des manifestations minoritaires des classes aisées qui veulent conserver leurs privilèges», a réagi Hugo Yasky de la Centrale des travailleurs argentins (CTA). Sur Twitter, le sujet du moment «cacerolazo» est concurrencé par «caceroludos» (contraction de casseroles et «boludos», cons). Mais pour Mariel Fornori, de l'institut Management&Fit, ce retour sporadique des casseroles témoigne d'un malaise croissant. Selon, un sondage encore confidentiel de l'institut, la présidente, réélue en novembre dernier avec 54% des voix, serait tombée en juin à moins de 40% d'opinions positives.

UN DOLLAR MULTICOLORE

À Buenos Aires, on parle désormais du « bleu » pour désigner le dollar parallèle, offert par des bureaux officieux et coté à 5, 9 pesos contre 4, 5 pour l'officiel. À ne pas confondre avec le « vert », à 6,15 pesos, offert par les changeurs ambulants, ou « le céleste », valeur intermédiaire utilisée dans les transactions immobilières.