Sur papier, le projet est magnifique.

Les croquis léchés du «Centre haïtien de réhabilitation» montrent un complexe hospitalier à la façade vitrée, un toit vert, des courbes modernes. La description est tout aussi ambitieuse: un «carrefour de soins de santé» équipé de 75 lits dédiés aux soins des handicapés, flanqué d'un service de fabrication de prothèses et d'une école de formation d'infirmières spécialisées en physiothérapie.

Six mois après le début annoncé des travaux, aucune pelletée de terre n'a été encore levée pour le centre. Et un grand flou entoure l'avenir du projet...

L'annonce de cette construction a été faite en conférence de presse à Montréal, il y a un an. Deux des partenaires du projet sont en effet québécois: Action SOS Haïti, organisme montréalais créé au lendemain du séisme de 2010 pour soutenir la reconstruction du pays, et Construction sans frontières (CSF), sorte de bras humanitaire de l'Association patronale des entreprises en construction du Québec (APECQ) mis sur pied en janvier 2011.

Les deux organismes québécois ont été recrutés par l'Association des médecins haïtiens à l'étranger (AMHE), dont le siège social est à New York. Le responsable du projet à l'AMHE, le Dr Emmanuel François, est un médecin de Washington dont la nièce, Caroline Thélémaque, pilote Action SOS Haïti et a présenté le projet à CSF.

Le centre verra-t-il le jour? Caroline Thélémaque y croit encore. L'échéancier, perturbé par les élections, a été revu, dit-elle. «Pour l'instant, on s'est concentré à mettre sur pied l'école de physiothérapie», dit-elle.

L'AMHE évalue les coûts du projet à 11 millions de dollars. Selon Mme Thélémaque, aucune collecte de fonds n'est prévue au Canada - le financement relèverait de la Fondation de l'AMHE aux États-Unis. Celle-ci, sur la page internet consacrée au Centre, invite en effet les donateurs potentiels à envoyer leurs chèques à Royal Palm Beach, en Floride. Aucune précision n'est donnée sur les fonds amassés jusqu'à maintenant. L'AMHE n'a pas donné suite à nos demandes d'information.

Expérience du terrain

Selon Mme Thélémaque, l'AMHE compte demander un financement à l'agence américaine de développement USAID même si ses principaux partenaires sont canadiens... et sans grande expérience des projets d'une telle envergure à Haïti.

Parmi les réalisations d'Action SOS Haïti, Mme Thélémaque cite la distribution le mois dernier de «matériel scolaire et médical» entreposé depuis près d'un an dans des conteneurs du port de Port-au-Prince. Quant à CSF, il compte débuter bientôt son premier projet, la réfection d'une petite école à Miragoâne, à 100 km de la capitale.

L'annonce du projet en janvier 2011 était-elle prématurée? «Dans le temps, ça ne l'était pas», proteste Mme Thélémaque. «On ne pensait pas que ça prendrait un an pour avoir un gouvernement.»

Paul-Émile Lizée, ancien président de Construction sans frontières, qui a fièrement présenté le projet du centre l'an dernier, prend aujourd'hui ses distances. Il y a un an, il déplorait que très peu d'argent soit disponible sur le terrain pour justifier la participation de CSF. Aujourd'hui, M. Lizée dit croire davantage à la réalisation de petits projets. «Réalisons de petits projets, mais réalisons-les au lieu de mettre nos énergies sur des projets qui ne verront peut-être jamais le jour.»