Une série d'enquêtes des Nations unies en Haïti conclut que des policiers haïtiens commettent fréquemment des exécutions et des actes de torture menant à la mort de détenus. Le Haut Commissariat aux droits de l'homme demande au gouvernement de punir les responsables, dont plusieurs hauts placés.

Dans deux rapports rendus publics mardi, la Section des droits de l'homme (SDH) de la mission des Nations unies en Haïti affirme recevoir «de manière régulière des allégations d'homicides impliquant la Police nationale d'Haïti». D'octobre 2010 à novembre 2011, l'organisation dit avoir reçu des dénonciations touchant 70 policiers impliqués dans la mort d'au moins 20 personnes. Or, aucun des agents n'a été accusé par les autorités haïtiennes, aucune enquête n'ayant même été ouverte dans plusieurs cas.

La SDH se dit particulièrement inquiète après avoir découvert, en enquêtant sur la mort de deux jeunes haïtiens, que des policiers auraient instauré un signe pour prévenir leurs collègues de l'exécution imminente de détenus. Lors d'une nuit de mars 2011, Jeune Sterson et Louis Frantz collaient des affiches pour une candidate à l'élection présidentielle, Mirlande Manigat, quand ils ont été arrêtés par un groupe de cinq agents. C'est la dernière fois qu'ils ont été vus vivants.

Le lendemain, leurs corps criblés de balles ont été trouvés dans un secteur isolé de Port-au-Prince. La police assure les avoir relâchés sans les blesser, mais des témoins ont rapporté avoir vu l'un des policiers au commissariat «déclarer au chef de poste zéro en faisant un signe en croix: une expression qui, selon l'information reçue par la SDH, dans le jargon de la police, signifierait que les hommes arrêtés devaient être tués». En faisant ce signe, les agents s'assureraient que les noms de leurs détenus ne figurent pas aux registres. Cette information est d'autant plus troublante qu'elle pourrait révéler une pratique répandue au sein de la police et qui impliquerait la complicité de nombreux policiers, souligne la SDH.

D'autres exécutions ont également été recensées. En mai 2011, des policiers affirment avoir abattu trois hommes soupçonnés d'avoir perpétré un vol dans le quartier Maïs Gâté après un échange de coups de feu. Or, plusieurs témoins ont nié qu'il y ait eu fusillade, affirmant que seuls les policiers auraient tiré. Deux témoins indépendants affirment même que le trio a été exécuté. Mais deux des trois corps ont rapidement été enterrés tandis qu'aucune autopsie n'a été pratiquée sur le troisième, aucun médecin légiste n'étant disponible. Aucune enquête n'a été ouverte et les quatre policiers impliqués sont toujours en service.

Battu à mort

Les enquêtes ont également mis au jour plusieurs cas de torture. La SDH estime qu'un détenu, Serge Démosthène, a été battu à mort pour lui faire avouer le meurtre très médiatisé du directeur de la Banque nationale de crédit. Après avoir été arrêté sans mandat, l'homme a été battu devant de nombreux policiers, dont plusieurs agents de haut rang. Moins de 12 heures après son arrestation, Démosthène a été transporté à l'hôpital où sa mort a été constatée.

Le cas d'André Markeson, trouvé mort dans sa cellule au lendemain de son arrestation en avril 2011, inquiète également la SDH. L'homme a été arrêté peu de temps après qu'une voiture de police eut été la cible de coups de feu dans le dangereux quartier de Cité Soleil. Les policiers ont affirmé que l'homme a été battu par un codétenu qui avait réussi à prendre la fuite. Cette version a été jugée peu crédible. Le corps du défunt portait de nombreuses ecchymoses, indiquant qu'il avait été battu à coups de pierres et de barres de fer. De plus, le codétenu incriminé par les policiers aurait plutôt été libéré après avoir versé une importante somme au responsable du commissariat.

Dans un autre cas, un policier aurait décidé de se faire justice après avoir vu sa voiture endommagée lors d'une dispute entre deux personnes en octobre 2010. Des témoins ont vu l'agent alors en civil ouvrir le feu sur un homme désarmé. Celui-ci, Fritz Fernicien, a réussi à s'enfuir, mais s'est retrouvé dans un cul-de-sac où le policier l'a abattu de plusieurs projectiles à bout portant, selon le récit de plusieurs témoins rencontrés par la SDH. Son corps portait cinq plaies par balle, dont deux à la nuque, a constaté un juge de paix haïtien.

Une enquête a été ouverte trois mois plus tard et le policier suspendu, mais celui-ci a été réintégré alors que l'enquête piétine toujours malgré les nombreux témoins oculaires.

Cette nouvelle sur la pratique d'exécutions et de torture est d'autant plus troublante que le Canada est l'un des principaux responsables de la réforme de la police et du système carcéral haïtiens. Plusieurs policiers canadiens sont d'ailleurs déployés en Haïti pour prêter main-forte aux policiers haïtiens. Il a été impossible hier d'obtenir une réaction du gouvernement canadien ou de la Gendarmerie royale du Canada, responsable du contingent policier à Port-au-Prince.