Des centaines de policiers armés jusqu'aux dents investissent le labyrinthe de ruelles de la Rocinha, la plus grande favela de Rio dominée depuis trente ans par les trafiquants de drogue: certains habitants redoutent la présence des policiers corrompus, d'autres exultent de se voir enfin libérés du joug du crime organisé.

Il est à peine 04h00 locales et il fait encore nuit dimanche quand un bruit sourd se fait entendre: ce sont les dix-huit blindés de la Marine qui soutiennent les troupes de choc et le redouté Bataillon des opérations spéciales (BOPE) qui entrent dans la favela. En les voyant, une femme éclate en sanglots.

Plus de deux mille policiers se dispersent rapidement dans les ruelles escarpées de ce bidonville de 120 000 habitants où les petites maisons en briques rouges sont accrochées à flanc de colline.

Les hélicoptères de la police rasent les toits et la forêt tropicale qui entoure la favela.

Les policiers montent en courant les escaliers et les ruelles d'à peine un mètre de large, surplombés de dizaines de câbles électriques enchevêtrés. La seule lumière vient de la pleine lune. On n'entend que le hurlement d'un chien et les ordres des policiers.

L'opération de reconquête de ce bastion du trafic de drogue, au coeur des quartiers résidentiels de Rio, a eu lieu sans coup férir en un peu plus de deux heures.

L'un des rares habitants à se risquer hors de chez lui est Francisco, 45 ans. Incarcéré pendant des années pour trafic de drogue, enlèvement et vol à main armée il est aujourd'hui «repenti», cireur de chaussures et leader communautaire.

«Il y a beaucoup de policiers corrompus: on ne sait pas ce qui va se passer. Il y a des gens qui ont peur mais on espère que les choses s'amélioreront» avec l'implantation de cette Unité de police pacificatrice (UPP), déclare Francisco qui refuse de donner son nom de famille.

Mais selon lui, l'occupation policière ne mettra pas fin au trafic: «il y a beaucoup de policiers corrompus qui acceptent les pots-de-vin et tant qu'il y aura des consommateurs, il y aura trafic», dit-il.

Le jour se lève et on entend le chant des coqs. Plusieurs habitants descendent du haut de la colline en évitant les montagnes d'ordures sur le sol et les carcasses de motos brûlées par les trafiquants la veille de l'occupation. La plupart refusent de parler à la presse par peur de représailles car quelque 200 narcos sont encore dans la Rocinha. Ils ont répandu de l'huile dans les rues pour tenter d'empêcher le passage des véhicules policiers.

Au sommet de la favela, devant la porte des pompes funèbres «Santa Casa da Rocinha», Sergio prend des photos des blindés amphibies de la Marine qui arrivent.

«C'est un commencement mais l'État ne peut pas nous abandonner après. Nous avons besoin de sécurité mais aussi de postes de santé et du tout-à-l'égoût», dit-il.

Andrade, 32 ans, travaille comme «moto-boy», montant et descendant les habitants sur sa Honda jaune. Lui aurait préféré que les «narcos» gardent le contrôle: «J'étais déjà habitué, je les connaissais tous», déplore-t-il.

Mais beaucoup veulent croire en une vie meilleure. Accoudée au balcon de sa petite maison, Renata, 29 ans, observe le mouvement: «Cela va nous apporter des améliorations et plus de tranquillité», affirme-t-elle en caressant les cheveux de son fils de 11 ans.