Cinq ans après son retour au pouvoir, Daniel Ortega semble assuré d'être réélu dimanche lors de la présidentielle au Nicaragua. Ce serait son troisième mandat, et peut-être pas le dernier, à la tête du pays le plus pauvre d'Amérique centrale. Ses adversaires soupçonnent déjà l'ancien révolutionnaire sandiniste de vouloir se préparer une présidence à vie.

Quelque 3,4 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour élire le président et le vice-président du pays, ainsi que les 90 députés de l'Assemblée nationale et 20 représentants au Parlement centraméricain (PARLACEN).

Crédité de près de 50% des intentions de vote, Daniel Ortega, bientôt 66 ans, fait la course en tête, très loin devant les quatre autres candidats à la présidentielle.

Un récent sondage CID-Gallup, réalisé à la mi-octobre, le donne à 48 pour cent, soit 18 points d'avance sur son plus proche rival, Fabio Gadea, un patron de station de radio âgé de 80 ans, du Parti libéral indépendant (PLI). L'ancien président Arnoldo AlemDan, 65 ans, qui défend les couleurs du Parti libéral constitutionnaliste (PLC), est loin avec 11%.

Or, Daniel Ortega n'a besoin que de 35% des suffrages et cinq points d'avance sur le deuxième pour être réélu dès le premier tour.

En cinq ans, Ortega a mis en oeuvre des mesures populistes et un système jugé clientéliste, tout en soutenant l'économie de marché par des politiques saluées par la Banque mondiale. L'ancien guérillero moustachu brigue aujourd'hui un second mandat consécutif, le troisième au total, grâce à une décision de la Cour suprême, à majorité sandiniste, qui avait fait polémique. Elle l'a en effet autorisé en 2009 à briguer plusieurs mandats, malgré la limite inscrite dans la Constitution.

Daniel Ortega est revenu au pouvoir au Nicaragua plus de 16 ans après l'avoir quitté. À la tête de la guérilla sandiniste qui a mis fin à la dictature d'Anastasio Somoza en 1979, et élu à la présidence en 1984, il avait résisté pendant des années aux tentatives de Washington pour le renverser via les Contras, les forces contre-révolutionnaires. Il avait fini par être battu lors des élections de 1990, après un mandat marqué par des politiques autoritaires et le délabrement de l'économie. Après deux nouvelles candidatures malheureuses, il avait assoupli sa rhétorique pour remporter la présidentielle de novembre 2006.

Celui dont la défaite avait été l'obsession des États-Unis pendant la Guerre froide reste une figure controversée chez lui comme à l'étranger. Ses partisans l'appellent simplement Daniel, ses adversaires critiquent l'«ortéguisme», reposant sur le culte de la personnalité et un mélange idéologique de christianisme, socialisme et soutien au libre-échange.

Carlos Fernando Chamorro, un ancien sandiniste devenu l'un des plus féroces critiques d'Ortega, dénonce une politique de «caudillo», d'homme fort, et l'accuse de vouloir établir «le principe de la réélection indéfinie». Il pense que s'il est réélu, en particulier largement, il tentera de modifier la Constitution en conséquence, à l'instar de nombre dirigeants de la gauche latino-américaine, le Vénézuélien Hugo Chavez en tête. «Ortega ira aussi loin que lui permettra le peuple du Nicaragua», dit-il.

Des mensonges pour faire peur aux électeurs, répond Daniel Ortega dans ses discours de campagne. Lors de son dernier mandat, il s'est attiré un large soutien chez les jeunes et les plus pauvres de ce pays de 5,8 millions d'habitants, dont plus de 40% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.

Le président a mis en place des dizaines programmes de micro-crédit, d'aides à l'élevage et aux transports. Il a aussi instauré de très populaires distributions de zinc pour les toitures et une prime mensuelle pour les fonctionnaires d'un montant équivalent de 24 euros. La pauvreté et l'illettrisme ont légèrement baissé et le taux de scolarisation augmente, selon la Fondation internationale pour les défis économiques mondiaux, une association du pays.

«Il est totalement solidaire de nous les pauvres», assure Andrea Benavidez, une jeune femme de 19 ans, mère de deux enfants, qui vit à Managua, la capitale. «Je suis sandiniste parce que j'aime ce que Daniel a fait pour les jeunes. Il nous a donné des bourses, il a construit des terrains de sport».

Ortega a aussi maintenu des liens avec les États-Unis tout en se rapprochant d'Hugo Chavez. Il a signé l'Accord de libre-échange d'Amérique centrale (ALEAC) et pris soin des entreprises privées. Le revenu par habitant, l'un des plus bas d'Amérique latine, a augmenté régulièrement depuis 2006 selon la Banque mondiale qui juge les politiques macro-économiques mises en place par Ortega comme «largement favorables».

«Il y a une grosse différence entre Ortega et Chavez: la reconnaissance de la nécessité d'un secteur privé dynamique», explique Cynthia Arnson, directrice du programme Amérique latine au Centre universitaire international Woodrow Wilson de Washington. «C'est une différence radicale avec les sandinistes des années 80...»

Cela n'empêche pas Ortega d'avoir bénéficié des largesses de Chavez qui, selon des estimations, a accordé au moins 500 millions $ (362,4 millions d'euros) par an en tarifs préférentiels sur le pétrole et donations directes. Une grande partie de cette aide est gérée par Albanisa, une compagnie privée fondée par Ortega et critiquée pour son opacité. Le Fonds monétaire international (FMI) a d'ailleurs récemment demandé plus de transparence dans les dons de Chavez.

En 2006, plus de 18 000 observateurs électoraux avaient surveillé le scrutin. Cette fois, des observateurs locaux se sont vus refuser des accréditations. L'Union européenne et l'Organisation des États américains (OEA) ont négocié des accès au scrutin, mais «il n'y a pas de confiance, pas de garanties, pas de processus légitime», dénonce Roberto Courtney, directeur d'Éthique et transparence, une ONG qui milite pour le respect de la démocratie.