Le président haïtien Michel Martelly a fait cette semaine une tournée remarquée dite de «réconciliation» avec les anciens chefs de l'État haïtien.

Le terme, lourd de sens dans cette ancienne dictature, est de l'ancien «président à vie» Jean-Claude Duvalier, que le nouveau président a rencontré mercredi. M. Martelly s'est aussi rendu, le même jour, chez un autre ancien président de retour d'exil, Jean-Bertrand Aristide.

Des photos et vidéos, où figurent les trois hommes, sont parues hier dans tous les médias haïtiens et ont enflammé les débats sur les tribunes téléphoniques des radios de la capitale.

Le «rêve» de Martelly

«Le rêve du président Martelly est une table ronde de tous ces anciens leaders assis à la même table avec les leaders actuels pour que l'on réfléchisse ensemble aux problèmes du pays», a lancé l'actuel président lors de sa conférence de presse avec Aristide.

Cette tournée des ex-présidents, plutôt bien reçue dans la population, a été saluée par de nombreux partisans d'Aristide en Haïti qui voient d'un bon oeil le retour de leur leader dans les sphères proches du pouvoir. Les présidents des deux chambres du Parlement, qui ont aussi assisté à la rencontre de deux heures avec Aristide, ont eux aussi salué l'initiative de Martelly.

Même son de cloche du côté des fidèles de Duvalier, beaucoup moins nombreux, qui voient dans ce geste un rapprochement politique avec l'ancien dictateur et la confirmation du retour de l'armée haïtienne démantelée en 1994.

Inquiétudes

Au contraire, ces rencontres publiques inquiètent plusieurs victimes du régime Duvalier. Danièle Magloire, porte-parole du Collectif contre l'impunité, qui regroupe des organismes de défense des droits de l'homme et des plaignants contre le régime duvaliériste, n'aime pas entendre les mots «réconciliation» et «oubli du passé» sortir de la bouche du président Martelly, alors que justice n'est toujours pas faite à l'encontre de Duvalier.

En entrevue avec La Presse, cette militante rappelle que, depuis l'arrivée au pouvoir de Martelly, des démarches ont été entreprises par l'État haïtien pour restituer certains biens saisis à M. Duvalier, tout comme sa pension d'ex-chef de l'État.

«Si [les groupes de défenses des droits de l'homme] sont inquiets, nous le déplorons, souligne de son côté à La Presse Lucien Jura, porte-parole de la présidence d'Haïti. Il ne faut pas tout mélanger. Il y a un pouvoir judiciaire qui fonctionne aujourd'hui en Haïti et dont l'exécutif cherche à renforcer les structures.»

Danièle Magloire se montre sceptique. «Comment le procureur est-il est supposé réagir face à un État qui poursuit une personne [pour détournements de fonds], mais qui d'un autre côté est en train de tout lui donner?»