La présidente du Brésil et ex-guérillera Dilma Rousseff soutient la création d'une commission d'enquête sur les crimes de la dictature (1964-85) mais sans remettre en question l'amnistie octroyée aux militaires, contrairement à d'autres pays de la région.

Initiative de son prédécesseur et mentor politique Luiz Inacio Lula da Silva, le projet gouvernemental pour créer une «Commission de la Vérité» est actuellement aux mains du parlement à Brasilia.

Mme Rousseff, 63 ans, qui a subi la torture dans les geôles de la dictature, veut faire de cette commission une réalité d'ici à décembre.

«Nous créerons la Commission de la Vérité. N'ayez aucun doute là-dessus», avait affirmé la présidente vendredi à Brasilia à l'occasion du congrès du Parti des travailleurs (PT, gauche) au pouvoir.

Mais cette commission ne remettra pas en question la Loi d'amnistie de 1979, qui avait permis le retour au Brésil des exilés politiques, tout en protégeant les tortionnaires de toute poursuite judiciaire.

Aujourd'hui, nombre de Brésiliens souhaient l'abrogation de cette loi, ce qui provoque la colère des militaires.

«La révision de la loi n'est pas à l'agenda du gouvernement. Si nous rompions ce pacte, autour duquel est construit tout le consensus, nous n'arriverions même pas à créer la Commission de la Vérité», a déclaré la ministre du Secrétariat spécial des droits de l'Homme, Maria do Rosario, au quotidien Correio Braziliense.

Les familles des victimes rejettent ce consensus et estiment que la commission ne sera même pas en mesure de faire la lumière sur les faits.

«La preuve que cette commission ne sera pas efficace est que les militaires la soutiennent. Cette commission ne cherchera même pas à connaître la vérité», a estimé Elizabet Silveira, soeur de l'une des 400 personnes tuées ou disparues sous le régime militaire brésilien et responsable de l'ONG «Plus jamais la torture».

Avec la création de la commission, Mme Rousseff enverra à l'intérieur et à l'extérieur le message qu'en matière de droits de l'Homme, elle fait «son possible mais pas l'idéal», et elle pourra ainsi «tourner la page» de la dictature, a déclaré à l'AFP Marcelo Rech, directeur du portail privé InfoRel spécialisé dans les affaires internationales et de défense.

«Les militaires tolèrent cette commission parce qu'elle ne va pas contre eux. Ici il n'y aura pas de règlements de compte avec le passé, c'est inimaginable qu'au Brésil se produise ce qui s'est passé en Argentine, en Uruguay ou au Chili», où des militaires ont été jugés pour leurs crimes commis dans les années 1970, a-t-il souligné.

Les dictatures qui ont gouverné ces pays dans les années 1970/80 ont travaillé de façon coordonnée dans le cadre du dénommé «Plan Condor» de répression contre les opposants de gauche.

L'Argentine (30 000 morts ou disparus) a annulé ses lois d'amnistie en 2003 et condamné depuis plusieurs militaires impliqués dans ces crimes. Au Chili (plus de 3200 morts ou disparus) et en Uruguay (plus de 200 morts ou disparus), certains des responsables ont aussi été jugés.

En 2010, la Cour interaméricaine des droits de l'Homme a condamné le Brésil pour abus des droits de l'Homme sous la dictature et a déclaré «sans effet juridique» sa Loi d'amnistie de 1979.

Cependant, pour certains analystes comme Alexandre Bernandino, professeur de droit à l'Université de Brasilia, le pas franchi par la présidente Rousseff est «historique» parce que le pays pourra enfin questionner son passé.