La nationaliste et ancien militaire Ollanta Humala devient jeudi président du Pérou, avec pour défi majeur les énormes attentes sociales dans ce pays andin, un champion d'Amérique latine en matière de croissance, mais aussi d'inégalités.

Premier président de gauche en 36 ans, Humala s'est déjà évertué à dissiper les craintes d'un socialisme radical et autoritaire sur le mode du Venezuela d'Hugo Chavez, dont il fut jadis l'émule. L'inspiration avouée aujourd'hui est une gauche gestionnaire et pragmatique, façon Lula.

«Le Brésil est un modèle de succès, combinant stabilité macro-économique, croissance et intégration sociale». Humala a ainsi dessiné plusieurs fois sa feuille de route, y compris depuis le Brésil de Dilma Rousseff, premier pays qu'il visita peu après son élection le 5 juin.

En succédant à Alan Garcia (centre-droit), Ollanta Moisés Humala Tassio, 49 ans, hérite d'une économie dynamique, puissance minière (argent, cuivre, or) qui a renoué avec sa croissance record de la décennie 2000: +8,05% sur les cinq premiers mois de 2011, et +6,6% prévus pour 2011 selon le FMI, ce qui ferait du pays le premier de la classe sud-américaine.

Mais le Pérou du président Humala, surtout le Pérou de l'intérieur, andin, rural et sous-développé (jusqu'à 60% de pauvreté dans les provinces andines), est aussi une poudrière sociale: 217 conflits en juin, selon l'observatoire du Médiateur du peuple, avec des violences dans 50% des cas.

Lors d'une de ces éruptions fin juin, cinq personnes avaient été tuées et une trentaine blessées, dans la mobilisation contre un projet de mine d'argent dans la région de Puno (sud-est) et du lac Titicaca.

Les prochains de ces conflits, qui mêlent souvent un aspect environnemental (autour d'un projet minier) et des revendications de retombées économiques locales, seront les premières «épreuves de feu» du président Humala, analyse le politologue David Sulmont, de l'Université catholique de Lima.

La gestion de certaines promesses, comme une taxe sur les «surprofits» des grands groupes miniers, ou le bond prévu d'un salaire minimum parmi les plus bas du continent à 600 soles (204$), seront d'autres virages délicats.

Aussi, c'est les marchés qu'Humala a choisi de rassurer avant tout, lors de la transition depuis un mois et dans le choix de son équipe.

Le président de la Banque centrale, l'économiste libéral Julio Velarde, a ainsi été reconduit. Un vice-ministre de l'Économie du gouvernement sortant, Miguel Castilla, a lui aussi été conservé, et même promu ministre de l'Économie.

«Humala s'inscrit dans la voie adoptée par le Brésil et l'Uruguay, où l'élection se gagne à gauche, mais le pays se gouverne au centre», analyse le politologue Aldo Panfichi, qui souligne «la perte de force du modèle chaviste» dans la gauche sud-américaine, à la mesure des déboires du Venezuela.

Si la continuité macro-économique se confirme, le mandat d'Humala, un métis (quechua) devrait néanmoins voir quelques «premières» d'ouverture sociale ou ethnique, dans le pays de 28 millions d'habitants, où l'élite blanche, de Lima et de la côte, a historiquement monopolisé le pouvoir économique et politique.

Ainsi pour la première fois, une représentante de la minorité noire afro-péruvienne, la chanteuse Susana Baca, entre au gouvernement (ministère de la Culture). Pour la première fois, un indien d'Amazonie, l'awajun Eduardo Nayap, siègera au Parlement, sous l'étiquette du parti «Gana Peru» d'Humala.