Expropriations illégales, intimidation, indemnisations dérisoires... Des voix s'élèvent pour dénoncer les méthodes utilisées par plusieurs villes du Brésil pour déloger les résidants de favelas en vue de la construction des infrastructures nécessaires pour la Coupe du monde de soccer de 2014 et les Jeux olympiques d'été de 2016, explique notre collaborateur.

Dans la rue São Francisco Xavier, à quelques centaines de mètres du célèbre stade Maracanã, la favela do Metrô n'est plus qu'une enfilade de monticules de briques cassées, de métal tordu et d'ordures. Les maisons encore debout sont, pour la plupart, éventrées.

Au bout d'une petite ruelle, encerclée par des montagnes de débris, Eomar Freitas fait le guet devant sa maison. «Si je la laisse sans surveillance, quand je reviendrai, la Ville l'aura détruite», grogne-t-il.

En novembre dernier, la Ville de Rio a procédé à la démolition de la majorité des maisons de cette favela pour moderniser les alentours du stade Maracanã, où se disputera la finale de la Coupe du monde de soccer en 2014.

La plupart des 1000 résidants qui y vivaient ont accepté d'être relogés dans un complexe de logements sociaux, situé tout près. Aussitôt qu'ils étaient déménagés, les employés de la Ville démolissaient les maisons à coups de massue.

Ceux qui refusent de partir, comme Eomar Freitas, se retrouvent sans eau ni électricité, au beau milieu des décombres devenus un paradis pour les rats, les moustiques, les junkies et les prostituées.

Environnement invivable

L'organisme communautaire CatComm, impliqué dans plusieurs favelas, affirme que c'est une tactique fréquemment utilisée par la Ville pour venir à bout des récalcitrants. «Ils démolissent tout et laissent les débris s'empiler afin de créer un environnement invivable. Au bout d'un moment, la plupart finissent par céder», constate la directrice générale, Theresa Williamson.

Eomar Freitas ne fait pas exception. Lui et la vingtaine d'autres résidants de la favela do Metrô se sont résignés à accepter le logement social offert par la Ville. Mais la deuxième phase de construction des logements accuse du retard et il n'y a plus d'unités disponibles.

«Si à la base, la Ville n'était pas en mesure de déménager tout le monde, pourquoi n'a-t-elle pas attendu que tous les logements soient prêts avant de tout détruire?», fulmine M. Freitas.

Dans tout le Brésil, on estime qu'environ un million et demi de personnes devront être relogées pour faire place aux infrastructures routières et sportives en vue de la tenue des deux plus grands évènements sportifs de la planète.

De nombreux cas d'expropriations cavalières et de compensations financières dérisoires ont été rapportées dans huit villes du Brésil où des infrastructures doivent être construites.

Sur l'ensemble du territoire de Rio, plus de 200 plaintes ont été enregistrées auprès du protecteur du citoyen concernant les méthodes employées par la Ville.

L'organisme, qui dispose d'une vingtaine de stagiaires, a fait enquête et s'est adressé au Comité international olympique. Le CIO a fait pression sur les autorités, qui ont récemment réagi en congédiant le protecteur du citoyen et les 20 stagiaires.

En avril, Amnistie internationale et l'ONU se sont dites très inquiètes du comportement des autorités brésiliennes dans le processus d'expropriation et d'indemnisation. Des pratiques qui peuvent «mener à des violations des droits de la personne», a affirmé la rapporteuse spéciale de l'ONU pour le droit à un logement convenable, Raquel Rolnik.

Le secrétaire à l'habitation de la Ville de Rio admet du bout des lèvres qu'il y a peut-être eu certains manquements. «S'il y a eu des excès, nous sommes disposés à corriger la situation», rétorque Jorge Bittar. Mais il rejette les allégations de Mme Rolnik. «Nous travaillons à réorganiser, urbaniser nos favelas afin d'améliorer notre ville. Il n'y a pas eu de transgressions des droits de la personne.»