À trois semaines du second tour de l'élection présidentielle au Pérou, le rapport de forces bascule en faveur de la candidate de droite Keiko Fujimori, fille de l'ancien président emprisonné, dans une campagne qui se crispe, entre médias militants, intimidations et agressions.

Deux premiers sondages, cette semaine, ont prédit une victoire de Mme Fujimori, 35 ans, le 5 juin face à Ollanta Humala, 48 ans, un ancien militaire, de gauche, vainqueur du premier tour le 10 avril. Toutes les enquêtes depuis donnaient M. Humala en tête, avec une avance fondant peu à peu.

D'après deux sondages ces derniers jours, Keiko Fujimori obtiendrait entre 40,6% et 41% des voix, contre 37,9% à 39% pour Humala. Étant donné les marges d'erreur (2,8% et 2,2% respectivement), les instituts parlent encore d'égalité technique. Mais la tendance est nette, continue.

Dans ce qui est perçu comme un 2e tour entre deux extrêmes, deux candidats à la fibre populiste, Ollanta Humala comme Keiko Fujimori se sont efforcés de s'entourer de personnalités consensuelles, de prendre leurs distances à l'égard de ce qui effarouche l'électorat centriste, modéré : pour Mme Fujimori, le legs des présidences autocratiques (1990-2000) de son père emprisonné pour crimes contre les droits de l'Homme et corruption; pour M. Humala, la parenté avec le socialisme radical d'Hugo Chavez.

Ollanta Humala a intégré à son équipe une cinquantaine d'économistes, juristes ou intellectuels modérés. Il a reçu le soutien du prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, libéral convaincu, mais rallié au « moindre mal », face à « la fille du dictateur et du voleur ».

Keiko, elle, a recruté l'économiste péruvien à l'aura internationale Hernando de Soto, gourou libéral-social des années 90 et chantre de « l'inclusion des exclus » par le capitalisme.

« Si je voyais en elle quelque chose de l'ancien régime (d'Alberto Fujimori), je ne serais pas là », a commenté Hernando de Soto, qui fournit naguère des conseils pour quelques réformes de Fujimori père, avant de vite prendre le large.

Paradoxalement, alors que les candidats se recentrent, la campagne se polarise et s'échauffe.

Des couronnes mortuaires ont été adressées au directeur d'un journal favorable à M. Humala, La Primera. Un journaliste vedette de la chaîne Canal N, Jaime de Althaus, a été malmené par des antifujimoristes. Des pierres ont été lancées sur Keiko au cours d'une réunion, des journalistes agressés : relents d'une tension politique que les Péruviens avaient oubliée depuis 10 ans et l'ère Fujimori.

Médias victimes, médias complices ? Une rapide lecture de la presse à Lima, populaire à grand tirage comme de qualité, atteste de médias ouvertement en campagne. Pour l'analyste politique Giovanna Penaflor, de l'institut Imasen, « la majorité des médias a pris parti, ce qui échauffe considérablement le climat politique ».

Il y a « des blocs journalistiques qui font une propagande totale en faveur de leur candidat », acquiesce Enrique Zileri, directeur du magazine respecté Caretas.

Et l'« on peut dire que l'environnement médiatique est de manière prédominante négative envers Humala », assure Penaflor à l'AFP, résumant l'avis de maints analystes.

« Il existe un alignement des grands groupes de presse, des intérêts économiques, qui perçoivent Keiko Fujimori comme la candidate indolore, qui va maintenir le statu quo actuel » socio-économique, explique David Sulmont, de l'Université catholique.

Gravitations médiatique et financière se rejoignent d'ailleurs : la Bourse de Lima a connu une forte hausse, par trois fois, en apprenant que Mme Fujimori avait rattrapé, puis dépassé, M. Humala dans les sondages.