Le président-élu d'Haïti, Michel Martelly, a demandé jeudi soir dans un discours diffusé sur Facebook et les radios locales qu'une enquête indépendante soit menée afin de faire la lumière sur les allégations de fraudes électorales lors des législatives.

«Les résultats de la présidentielle correspondent à la volonté du peuple. Mais les résultats pour la chambre des députés et le sénat semblent mauvais. Le vote du peuple ne semble pas respecté, parce que le peuple a manifesté partout», a dit en créole M. Martelly après que des violences et des suspicions de fraudes aient suivi la divulgation mercredi soir des résultats finaux.

«Il y a au moins 17 députés qui étaient en première position (lors des résultats préliminaires diffusés il y a deux semaines) qui ont finalement perdu, 17 députés qui devaient passer mais qui ne sont pas passés», a-t-il poursuivi, visant implicitement le parti Inité du président sortant René Préval.

«Nous souhaitons une vérification indépendante qui devra vérifier si le vote du peuple a été respecté», a-t-il annoncé, appelant M. Préval à ne pas entériner les résultats donnés par le Conseil électoral provisoire tant que les résultats de cette enquête n'auront pas été connus.

Des sources diplomatiques avaient dénoncé plus tôt à l'AFP ces fraudes qui, selon elles, ont été orchestrées par le parti au pouvoir afin de «garder la main-mise» sur M. Martelly, nouveau venu dans l'arène politique haïtienne qui ne dispose que de trois élus dans la chambre des députés.

Disposant d'une trentaine de députés lors de la précédente législature, Inité a maintenant 46 élus dans la chambre basse, sur un total de 99, ainsi que 17 sénateurs, sur 30 en tout.

Dès jeudi matin des manifestations violentes ont secoué plusieurs régions du pays, faisant au moins un mort.

Dans son allocution solennelle, M. Martelly, qui doit prendre ses fonctions le 14 mai, a demandé à ses concitoyens de rester calme.

«La victoire finale sera celle du peuple. La justice va faire la lumière sur ce qu'il s'est passé dans le pays, pour la démocratie», a-t-il assuré.

Reprenant son surnom dû à son crâne rasé, l'ex-chanteur populaire, élu avec 67,5% des suffrages, a lancé «sous le gouvernement de ¨Tet Kalé¨, les magouilles ne passeront pas».

Fraudes confirmées par plusieurs sources

Grand gagnant des législatives haïtiennes avec une majorité d'élus, le parti Inité de René Préval a été accusé jeudi par des élus locaux et des diplomates étrangers d'avoir manipulé le résultat du scrutin afin de contrôler le président-élu Michel Martelly.

Selon les résultats définitifs des élections législatives proclamés dans la nuit de mercredi à jeudi par le Conseil électoral provisoire (CEP), Inité a raflé 13 sièges à la Chambre basse au premier tour et 33 sièges au second tour, lui donnant un total de 46 députés (contre une trentaine dans la précédente législature) sur 99. Inité devient ainsi la première force de cette assemblée.

Au Sénat, le parti du président-sortant René Préval dispose désormais de 17 élus (14 auparavant), sur un total de 30.

Cette formation mène actuellement des négociations avec d'autres parlementaires pour décrocher la «majorité absolue», a indiqué à l'AFP le sénateur Joseph Lambert, coordinateur national du parti présidentiel.

«Le nouveau président Michel Martelly doit compter avec nous. Nous sommes en position pour imposer un premier ministre», a-t-il averti.

L'ex-chanteur populaire, qui doit recevoir le 14 mai les clés du pays le plus pauvre des Amériques, n'a pour sa part fait élire que trois députés de sa tendance politique.

Ce raz-de-marée a toutefois rapidement été assombri par des violentes manifestations en province, qui ont fait au moins un mort, puis par des accusations de fraudes électorales, portées par des élus de l'opposition et des observateurs étrangers.

Tous pointaient les «surprenantes» différences remarquées entre les résultats préliminaires d'il y a deux semaines et ceux définitifs dans une vingtaine de circonscriptions législatives.

La radio Quisqueya, notamment, s'est étonnée du cas d'un candidat d'Inité arrivé deuxième avec 15 000 voix de retard, lors des résultats préliminaires, pour finalement être désigné député lors des résultats officiels.

Pour le leader d'Alternative (deuxième parti au Parlement), Serge Gilles, un «assassinat politique» a été mené par «des anti-nationaux» en vue de replonger Haïti dans le chaos, a-t-il dit sur les ondes de cette radio.

«Il n'y a pas photo, il y a eu beaucoup de pressions» sur le Conseil électoral provisoire (CEP), a reconnu à l'AFP une source européenne.

«On imagine que ça a pu être le dernier combat (d'Inité) pour limiter la casse et obliger Michel Martelly à composer», a ajouté cette source, tout en soulignant qu'après avoir réuni sur son nom 67,5% des suffrages, l'ex-chanteur est protégé par «le fort soutien des électeurs».

Les résultats des cette vingtaine de circonscriptions «ont été renversés» par rapport aux résultats provisoires «afin de garder la main-mise sur M. Martelly», nouveau venu sur la scène politique haïtienne, a abondé une autre source diplomatique.

Une porte-parole de l'Organisation des États Américains (OEA) a indiqué en outre à l'AFP qu'un communiqué de presse serait diffusé dans la soirée «à propos des résultats des législatives».

Les sources interrogées ont par ailleurs salué «la sagesse» de Michel Martelly dont l'équipe s'est abstenue de tout commentaire pour le moment, ce qui, selon elles, démontre son souhait de ne pas mettre davantage le feu au poudre dans un pays sous tension. Cela témoigne également de «son respect des institutions», ont-elles souligné.

Tenu le 20 novembre, le premier tour avait été accompagné de violentes manifestations dues à l'éviction de M. Martelly au profit du candidat du pouvoir, Jude Célestin. Après enquête, ce dernier a été reclassé troisième au profit de «Sweet Micky».