Les gouvernements antérieurs, au Mexique, exerçaient-ils un contrôle strict sur le trafic de drogue afin d'éviter les affrontements entre cartels que l'on connaît aujourd'hui? L'actuel président Felipe Calderon a-t-il rompu ce pacte, mettant ainsi le feu aux poudres? Les propos d'un ex-gouverneur provoquent actuellement un âcre débat politique, poussant les Mexicains à analyser les causes réelles de la violence qui décime le pays.

Socrates Rizzo, ex-gouverneur de l'État mexicain de Nuevo León, se dit sans doute qu'il a perdu l'occasion de se taire. Ce baron du Parti de la révolution institutionnelle (PRI), formation centriste qui a gouverné le Mexique pendant 70 ans avant d'être évincée par la droite en 2000, a affirmé la semaine dernière qu'il n'existait pas de problème de violence durant ce long règne étant donné que «le gouvernement exerçait un contrôle strict sur les routes du narcotrafic, et c'est ainsi que le problème était résolu». Ô scandale...

Ces propos ont immédiatement été récupérés par le Parti d'action nationale (PAN), du président Felipe Calderon, pour accuser le PRI d'avoir autrefois scellé un pacte déshonorant avec les narcotrafiquants. Les conservateurs ont réclamé la comparution de Rizzo devant la justice pour engager des poursuites contre les artisans du prétendu pacte. La droite accuse le PRI de préparer son retour au pouvoir en 2012 en négociant, dès maintenant, la paix avec les cartels. En distillant ce genre de déclarations, le PRI voudrait répandre dans l'électorat l'idée qu'il sait comment gérer le problème du narcotrafic, estiment les commentateurs politiques.

Luttes intestines

«Tout indique que ce pacte a bel et bien existé», juge Martin Gabriel Barron, expert en matière de sécurité et de crime organisé à l'Institut national des sciences pénales. «Sinon, comment expliquer l'essor des cartels mexicains de la drogue sous les gouvernements du PRI?» En décidant d'affronter les cartels et d'envoyer 45 000 militaires à leurs trousses, le président Felipe Calderon aurait chamboulé l'harmonie du trafic.

Pourtant, peu de spécialistes attribuent la violence actuelle et les 34 000 morts du mandat de Calderon à la rupture de ce pacte. Certes, les cartels se battent aujourd'hui pour des routes et des territoires qui étaient peut-être autrefois distribués par le pouvoir. «Mais la flambée de violence est principalement due à des facteurs internes, des luttes intestines au sein des organisations», affirme Martin Barron, citant notamment l'explosive scission du cartel de Sinaloa en 2008. «En outre, l'envoi des militaires dans les villes, là où les trafiquants agissaient auparavant à leur guise, a logiquement contribué à l'accroissement des affrontements violents.»

Sauver la face

De son côté, le PRI désavoue Rizzo, pour sauver la face. «Ses déclarations sont inacceptables, elles nous font passer pour des membres d'une organisation criminelle», dit Ignacio Morales Lechuga, ex-procureur général de la République (équivalent du ministre de la Justice) sous la présidence de Carlos Salinas (1988-1994), un des derniers gouvernements du PRI.

L'homme affirme avec véhémence qu'il n'avait jamais reçu d'instruction du président pour conclure le moindre pacte avec les narcotrafiquants. «Par contre, de nombreux scandales de corruption touchent le gouvernement actuel: plusieurs hauts fonctionnaires, notamment des collaborateurs du ministre de la Sécurité publique, sont soupçonnés de complicité avec les cartels», accuse-t-il. D'après lui, la corruption de l'actuelle administration est l'un des principaux facteurs expliquant la violence.

Avec cette controverse en toile de fond, le président Felipe Calderon s'est rendu jeudi à Washington pour rappeler à son homologue Barack Obama les autres causes de la violence: la demande croissante de drogues et le trafic d'armes en provenance des États-Unis, impossible à maîtriser.