Mercredi, 2 février. Il neige au centre-ville de Juárez. Le froid intense a eu raison du radiateur de notre Crown Victoria 1992. Pas de problème. En quelques minutes, les journalistes qui patrouillent la ville nous tirent de ce mauvais pas.

Le photographe Ivanoh Demers est accueilli dans la Camaro de Josue Serna, du blogue mexicain La Polaka. Je monte à bord de la camionnette de Marcos Carrera, un Américain d'El Paso que tout le monde, ici, appelle Scooter.

Il existe à Juárez une solidarité exceptionnelle entre les journalistes affectés à la couverture du crime organisé. Depuis que la ville a sombré dans une violence extrême, en 2008, la concurrence n'existe plus. Les reporters communiquent par radio et se déplacent en groupe. Dans leur métier à haut risque, c'est une question de survie.

Nous roulons en direction d'une scène de crime. Scooter, maigre et nerveux, est vidéaste pour le compte d'une émission de Los Angeles spécialisée dans les crimes violents. À Juárez, il ne manque pas de boulot.

Bientôt, nous apercevons les gyrophares de la police. «O.K., let's make money!» s'exclame cyniquement Scooter en coupant le moteur. Un corps est allongé au bord de la route. Sa tête a carrément explosé sous l'impact des balles de mitraillette. Scooter filme la scène et remballe son matériel en quelques minutes.

Plus tard, il recueillera quelques détails auprès de la police. L'homme, dans la cinquantaine, descendait d'un autobus quand des tueurs à bord d'une camionnette l'ont abattu de 31 balles d'AK-47. «Mes patrons se moquent de tout ça. Ce qui les intéresse, ce sont les viscères répandus sur le sol.»

Trois heures plus tard, nous nous retrouvons à l'autre bout de la ville. Le scénario est le même. Au bout d'une ruelle sombre se découpe la silhouette d'une voiture dans la lumière des gyrophares. À bord, une femme a été abattue. À quelques pâtés de maisons, une autre voiture ceinturée d'un cordon policier. Un autre cadavre.

Trois meurtres en trois heures. Malgré le temps glacial, les journalistes de Juárez n'ont pas chômé. Les tueurs non plus.