Encouragés par leurs parents et la police locale, plus de 8000 enfants reçoivent une formation policière en Argentine. Si plusieurs y voient une façon comme une autre d'amuser les enfants le samedi matin, d'autres y voient carrément une violation de la Convention internationale des droits de l'enfant, raconte notre collaborateur.

Les deux garçons bruns sont face à face. À première vue, ils jouent. Mais à y regarder de plus près, on découvre que les deux enfants sont vêtus d'un gilet pare-balles de la police locale et s'entraînent aux techniques de combat.

Des enfants policiers? Depuis quelques semaines, l'image a créé une forte polémique tant dans la presse que dans la classe politique argentine. Dans la ville d'Esquel, située dans la province de Chubut au nord de la Patagonie, ils étaient environ 45 enfants, de 9 à 14 ans, à jouer aux «flics» tous les samedis. «L'endoctrinement policier» était assuré par l'aumônier de police locale, le père Adrian Alberto Mari. Des officiers venaient saluer les enfants et animer des ateliers pratiques, notamment de prévention de délit. On leur apprenait aussi à défiler et à respecter symboles patriotiques, parents et adultes.

«Nous leur demandons de bonnes notes à l'école, de bien se comporter à la maison et de saluer les policiers. Nous leur disons qu'il ne faut pas avoir peur d'utiliser l'uniforme», a expliqué le père Mari. «La pratique nous a beaucoup surpris. Les enfants doivent se former et s'instruire à l'école», a répliqué Juan Arcuri, sous-secrétaire des droits de l'homme de la province. Il s'est plaint à la police, qui a suspendu les activités du père Mari. Margarita Stolbizer, députée de la Coalition civique (opposition), a présenté un projet invitant le gouvernement à «prendre rapidement des mesures» pour en finir avec ces pratiques violatrices, selon elle, de la Convention internationale des droits de l'enfant. Nora Schulman, responsable du comité d'application de la Convention, a dénoncé «l'existence d'une police et gendarmerie infantile dans plusieurs provinces». Selon ses calculs, il existe plus de 8000 enfants policiers dans toute l'Argentine.

La pratique est en effet courante. Dans la province de Misiones, au nord du pays, près de la frontière avec le Paraguay et le Brésil, on compte 32 unités avec plus de 2000 intégrants et leur propre site internet. L'initiative, née à la fin des années 80, est soutenue par les parents. Ces derniers y voient un bon moyen d'encadrer et de distraire leurs enfants. «C'est bien cela qui est préoccupant», pense Nora Schulman. «Dans la province de Salta, la société considère cette militarisation comme un geste courageux pour sortir les enfants de la rue. On peut s'en inquiéter si l'on regarde comment en Colombie les enfants participent aux conflits armés.»

À Esquel, les parents ont manifesté avec leurs bambins pour réclamer le retour de la police infantile. Dans les rues, les enfants brandissaient des pancartes «Clarin ment!», du nom du grand quotidien qui a dénoncé l'affaire. Le maire d'Esquel, Rafael Williams, a accusé les «médias nationaux de caricaturer les choses». Pour lui, «ce n'est pas une militarisation des enfants». L'évêque d'Esquel, José Slaby, a frappé plus fort en grognant: «Ce n'est parce qu'un enfant porte un gilet pare-balles qu'il sera raciste ou délinquant. Il faut être malade pour penser que nous sommes en train de former une jeunesse hitlérienne ou mussolinienne.» Camp de scouts formateur ou délire autoritaire illégal, le débat ne fait que commencer.