Il est à peine 9h30 du matin, mais le soleil tape déjà fort sur le mur de pierre devant le bureau principal de l'Office national d'identification (ONI), à Port-au-Prince, où quelques centaines de personnes espèrent obtenir la carte qui leur permettra de voter, dimanche.

Marie Monique Paul, 20 ans, est arrivée dès 3h du matin, hier, pour être sûre de ne pas rater son tour. En guise de protection contre le soleil, elle a noué un chemisier sur sa tête. «J'ai laissé mon bébé à la maison. Je veux voter pour que le pays change.»

Cette carte pour laquelle les Haïtiens sont prêts à attendre pendant des heures sous un soleil de plomb ne permet pas seulement d'exercer le droit de vote. Dans ce pays, c'est la seule véritable carte d'identité, indispensable à la banque, dans les transactions avec l'État ou quand on cherche du travail.

Parmi les gens qui forment trois longues files devant l'ONI, plusieurs n'ont d'ailleurs pas du tout l'intention de participer au scrutin. «J'ai 79 ans, je n'ai jamais voté, et je ne vais pas commencer cette année. Les politiciens ne sont pas capables de régler les problèmes du pays», dit Marie Lilianne Renard. Pour les affaires de ce monde, elle s'en remet de toute façon à Dieu.

Mais la plupart souhaitent récupérer cette carte avant le 28 novembre, jour du scrutin où les Haïtiens éliront 110 députés et sénateurs, ainsi que leur prochain président.

Devant les bureaux de l'Office, qui compte sept centres de distribution dans la capitale, les gens s'appuient les uns contre les autres pour se protéger contre les resquilleurs. Quand le portail de fer s'entrouvre, tout le monde pousse en même temps. Parfois, des policiers agitent leur matraque pour calmer la foule.

«C'est important d'aller voter, il faut élire un nouveau président pour faire enfin fonctionner ce pays», dit Célestin Hyppolite, qui a perdu sa carte en juillet et s'attendait à pouvoir la remplacer, hier.

Une femme résume sa motivation électorale en ces termes: «Si je ne vais pas voter, quelqu'un ira le faire à ma place!»

Certains s'y sont pris à plusieurs reprises, à défaut de pouvoir confirmer par téléphone si leur carte était déjà prête. Bébé Whimer, par exemple, attendait de pouvoir réclamer la carte d'identité de sa grand-mère. Est-elle prête? «Je n'en sais rien, j'ai essayé d'appeler plusieurs fois, ça ne répond jamais.»

Une fois passé le portail, les électeurs font sagement la queue devant une table où une poignée d'employés distribuent les cartes. «Nous avons augmenté nos effectifs mais ça s'est avéré insuffisant, on ne s'attendait pas à une telle masse de gens», dit Jean François Alexis, responsable des communications à l'ONI.

Après le tremblement de terre du 12 janvier, l'Office d'identification avait fait face à une affluence encore plus grande. Des milliers de gens avaient tout perdu dans le séisme, y compris leurs papiers.

La liste électorale haïtienne compte 4,7 millions de noms. Certaines victimes du séisme du 12 janvier y figurent toujours - faute d'un corps identifié en bonne et due forme, la loi haïtienne exige d'attendre un an avant d'effacer les noms des disparus. Une porte ouverte à la fraude électorale? Pas du tout, assure Jean François Alexis: l'identité sera bien vérifiée au bureau de scrutin. Mais tous ne sont pas aussi optimistes.

Depuis le tremblement de terre, l'Office national d'identification a produit 386 000 cartes d'identité. Mais on est loin de la production locale: 250 000 de ces cartes ont été fabriquées à... New York.