Victoria Schwindt, 65 ans, semble soulagée en tendant son bras à une infirmière de La Plata, en Argentine, où une campagne de prise de sang a permis de doubler le nombre d'identifications de personnes disparues sous la dictature (1976-1983).

«J'ai eu beaucoup de mal à me décider. Hier, je n'ai pas dormi. Maintenant c'est fait», dit elle, visiblement éprouvée. Elle veut donner son sang pour retrouver les restes de son frère Carlos, disparu à 28 ans en 1976.

«Je suis sûre qu'il aurait fait ça pour moi», poursuit Victoria, tandis que l'infirmière passe un coton sur son bras. Sur une enveloppe blanche posée à ses côtés, un slogan : «Ton sang peut aider à l'identifier».

Sur les 30 000 personnes qui, selon les organisations des droits de l'Homme, ont disparu en Argentine victimes de la dernière dictature militaire, 350 ont été identifiées depuis le retour de la démocratie en 1983.

Mais près de la moitié de ces identifications ont été réalisées ces trois dernières années, grâce au lancement en 2007 d'une campagne nationale et la mise à disposition massive des moyens de l'État.

Cette campagne est menée alors qu'un conflit oppose la présidente Cristina Kirchner à Ernestina Noble, propriétaire du groupe de presse Clarin, qui a adopté en 1976 deux enfants soupçonnés d'être le fils et la fille de disparus.

Quand Mme Kirchner a récemment appelé à accélérer cet effort, certains y ont vu une pression sur Mme Noble, dont les enfants refusent que leur ADN soit comparé à ceux de tous les disparus.

Mais pour des milliers de gens, cette campagne représente un espoir.

«Ces gens viennent ici avec toutes leurs angoisses et leurs questions sans réponse», explique Nora Etchenique, directrice du Centre d'Hémothérapie de La Plata, ville de 500 000 habitants, située 60 km au sud-est de Buenos Aires et durement frappée par la répression.

«Nous devons savoir les écouter», dit-elle. Mme Etchenique a été elle-même détenue dans un centre clandestin près de Buenos Aires, la «Mansion Seré», et son compagnon a disparu. «C'est à l'État, qui a ôté l'identité à toutes ces personnes, de la leur rendre», dit-elle.

Alejandra Toledo, 43 ans, assistante au Centre d'Hémothérapie, se montre attentionnée avec Victoria Schwindt. Elle lui explique que ses échantillons seront envoyés dans un laboratoire aux États-Unis, qui croisera ses données avec toutes celles des disparus répertoriées à ce jour.

«Au début nous avions 13 cas par jour : à la fin de la journée j'étais en pleurs !», dit-elle. «Aujourd'hui, nous en avons entre trois et quatre».

L'Equipe argentine d'anthropologie légiste, qui a récupéré un millier de corps, a été la cheville ouvrière de cet effort.

«L'État a mis à notre disposition 63 hôpitaux», fait valoir son co-fondateur, Luis Fonderbrider, en parcourant la salle où sont classés les os. «Cela nous a permis d'identifier 120 personnes ces deux dernières années, une accélération considérable».

En juillet, un Français, Eric Domergue, a annoncé au monde avoir retrouvé les restes de son frère disparu, Yves. Il a dit qu'il n'aurait pu le faire sans ces prises de sang.

C'est aussi grâce à elles qu'Horacio Pietragalla, 34 ans, a découvert qu'il était un enfant volé de la dictature et a retrouvé les restes de ses vrais parents.

«Le jour où j'ai enterré ma maman, ce fut une bouffée de bonheur», dit-il dans un cimetière de Lomas de Zamora, dans la banlieue ouest de Buenos Aires. «Pouvoir venir ici, déposer une fleur sur leur tombe, ça n'a pas de prix».