La présidente argentine Cristina Kirchner défiait vendredi lors d'un grand meeting la Cour suprême, qui a demandé au Congrès d'envisager de prendre le contrôle de son fief, la province de Santa Cruz, à un an de l'élection présidentielle.

Dans une démonstration de force, Mme Kirchner devait participer à une «manifestation de solidarité» avec l'actuel gouverneur de la province, Daniel Peralta, à Rio Gallegos (Patagonie) aux côtés de son mari l'ancien chef de l'État (2003-2007) Nestor Kirchner et de quinze gouverneurs au total.

Quelque 10 000 personnes étaient attendues au Boxing Club de la ville. Des écrans géants étaient installés en dehors du bâtiment.

La Cour suprême a suggéré, dans un arrêt du 14 septembre, au Congrès d'envisager de prendre le contrôle de la province, en réaction au refus persistant de la province de réintégrer un procureur démis de ses fonctions en 1995 par M. Kirchner quand il était gouverneur de Santa Cruz.

Le Tribunal suprême qui a exhorté le Congrès à «garantir la forme républicaine de gouvernement» dans le fief présidentiel, citait les articles de la constitution qui portent sur la prise de contrôle d'une province par l'État fédéral.

Le chef du gouvernement, Anibal Fernandez, a immédiatement dénoncé «un coup d'État» du tribunal suprême.

Les constitutionnalistes étaient unanimes vendredi pour condamner ce bras-de-fer.

«Le pouvoir exécutif ne peut pas tenter de déstabiliser un autre pouvoir, tel que le pouvoir judiciaire», a déclaré à l'AFP le juriste Gregorio Badeni.

«Si l'arrêt de la Cour n'est pas respecté, le pouvoir judiciaire perd toute autorité», a-t-il dit, ajoutant: «Nous entrons dans un climat d'absolue insécurité qui n'est pas celui d'une République».

Pour le constitutionnaliste et avocat du procureur démis, Daniel Sabsay, «en se rendant à ce meeting, la présidente aggrave la rébellion du parti au pouvoir contre le sommet du pouvoir judiciaire». «C'est sans précédent», a-t-il dit.

«Il n'est jamais arrivé qu'on ne respecte pas un arrêt de la Cour suprême: c'est la première fois depuis l'adoption de la constitution en 1853», a renchéri M. Badeni.

L'opposition était tout aussi formelle sur la nécessité pour le pouvoir de se soumettre à l'arrêt de la Cour.

Une dirigeante de l'opposition social-démocrate, Margarita Stolbizer, a fait part de son «inquiétude». «Ce serait une insulte, une attaque lancée contre l'État de droit» si l'arrêt de la Cour était ignoré, a-t-elle dit.

Le radical Ricardo Gil Lavedra a, lui, expliqué qu'«on ne peut pas décider de ne pas respecter un arrêt de la Cour suprême parce que celui-ci ne nous plaît pas».

Par sept fois déjà, la justice a sommé la province de Santa Cruz de réintégrer l'ancien procureur général, Eduardo Sosa, sans succès. Le 10 novembre, la Cour avait donné 30 jours au fief pour le faire.

Cette affaire pourrait avoir des conséquences à un an de l'élection présidentielle d'octobre 2011, qui pourrait voir Mme Kirchner se représenter ou alors son mari tenter de succéder à sa femme, comme elle-même lui avait succédé en 2007.

Le couple présidentiel est touché au coeur de son système.

Les Kirchner ont amassé, selon leur propre déclaration patrimoniale, une fortune de 55 millions de pesos (11 millions d'euros), en grande partie dans la province, soit une augmentation supérieure à 700% depuis l'élection de Nestor Kirchner en 2003.

La province de Santa Cruz est peu peuplée (200.000 habitants sur 40 millions dans une superficie égale à celle du Royaume-Uni), mais l'impact électoral est imprévisible, car la population associe cette région au pouvoir.