Une Colombie «blindée» et sur les dents attend le premier tour dimanche d'une présidentielle qui tournera, quel que soit le résultat, la page des années Alvaro Uribe à Bogota. L'ancien ministre de la Défense Juan Manuel Santos, son héritier, est donné au coude à coude avec l'ancien maire de la capitale, le Vert et atypique Antanas Mockus.

Un petit peu moins de 30 millions d'électeurs colombiens sont appelés aux urnes, dans un pays où l'abstention est traditionnellement supérieure à 50% lors des présidentielles. Mais à voir la participation «historique» aux législatives du 14 mars dernier, les responsables électoraux s'attendent à une mobilisation massive pour ce scrutin à suspense.

La plupart des instituts de sondage donnent les deux favoris dans un mouchoir, garantissant un second tour pour les départager, le 20 juin prochain.

Le vainqueur succédera le 7 août et pour quatre ans à Alvaro Uribe, contraint de partir en pleine gloire, après huit ans aux manettes. L'hermétique et conservateur président «à la triste figure» s'est fait rappeler à l'ordre par la Cour constitutionnelle alors qu'il essayait de faire modifier les lois pour briguer un troisième mandat, fort d'une popularité supérieure à 70%.

Selon le chef de la police nationale, le général Orlando Paez, «quasiment tout le pays est blindé», avec quelque 300 000 policiers et soldats mobilisés pour assurer la sécurité du scrutin, que la guérilla des FARC a appelé à boycotter et menace de perturber. À ce chiffre s'ajoutent plus de 800 agents spécialement affectés à la sécurité des neuf candidats et de leurs binômes aspirant à la vice-présidence.

Santos, économiste de 58 ans, est le candidat officialiste, représentant le parti au pouvoir, le Parti social d'Unité nationale (dit «parti de la U»). Il revendique l'héritage d'Uribe, dont il fut ministre de la Défense de juillet 2006 à mai 2009. Il est ainsi considéré comme l'artisan des coups les plus durs infligés aux FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), dont l'opération qui permit la libération de la Franco-colombienne Ingrid Betancourt en juillet 2008.

Mais il porte aussi le poids des scandales liés à la politique de la «main dure» d'Uribe, en premier lieu celui des exécutions extrajudiciaires, qui a éclaté en 2008: pendant des années, l'armée a abattu des paysans, des massacres attribués ensuite à la guérilla, ou des victimes présentées comme des criminels tués au cours d'affrontements, des maquillages qualifiés de «faux positifs». Jusqu'à présent, quelque 1 200 enquêtes ont été ouvertes par le Parquet colombien, portant sur 2 300 victimes.

L'ancien ministre affirme être celui qui mit fin à ces pratiques: il rappelle avoir ordonné, fin 2008, la mise à la retraite de 27 militaires, dont trois généraux, pour leurs responsabilités présumées dans cette affaire.

Le principal rival de Santos est l'atypique Antanas Mockus, 58 ans aussi, fils d'immigrés lituaniens, ex-maire de Bogota et ex-recteur de l'Université de Colombie.

La «Vague verte» pro-Mockus, a englouti les autres candidats au terme d'une campagne haute en couleur. En deux mandats à la tête de Bogota, il avait accédé à la notoriété en arpentant sa ville, déguisé en «Super-Citoyen» luttant contre le crime... Du temps de ses années universitaires, cet original n'hésitait pas à tomber le pantalon pour obtenir l'attention d'étudiants en train de chahuter.

S'il est élu, Mockus deviendrait le premier président écologiste au monde. Même s'il donne la priorité à la bonne gouvernance et à la lutte contre la corruption et les scandales.

Les rivaux de Mockus mettent l'accent sur son indécision, ses comportements erratiques et son manque d'expérience pour diriger un pays en guerre. Même s'il a promis de poursuivre la politique de la «main dure» contre les FARC, il avait eu l'idée malencontreuse il y a peu, de déclarer à un journaliste que la Colombie devrait suivre l'exemple du Costa Rica et dissoudre son armée... Avant de se reprendre in extremis.

L'affaiblissement des FARC pendant les années Uribe est le principal argument de vente de Santos, qui se présente aussi comme le mieux placé pour gérer les conflictuelles relations avec les deux voisins très à gauche, Venezuela et Équateur.

Il est le candidat de la côte caraïbe, où éleveurs et grands propriétaires terriens lui savent gré d'avoir ramené la paix. Avant l'élection d'Uribe en 2002, les FARC semaient la terreur dans la région, dressant des barrages routiers et y kidnappant à tour de bras contre rançon.

Mais l'héritage de l'Uribisme semble menacé par les scandales liés à la corruption et aux excès d'un régime droitiste ultra-militarisé, et à la corruption: espionnage illégale de juges, journalistes et militants des droits de l'homme, accointances avec les escadrons de la mort d'extrême droite, détournement des fonds fournis par Washington pour aider les paysans pauvres.