Le principal leader indigène du Pérou, Alberto Pizango, a été libéré jeudi 24 heures après son arrestation à son retour d'exil, signal fort d'une détente entre l'État et la minorité indienne d'Amazonie, un an après des violences qui ont fait 34 morts.

Pizango, revenu mercredi d'un an d'asile politique au Nicaragua, s'est vu notifier les charges d'incitation à la sédition et à la mutinerie qui pèsent sur lui, le gouvernement le présentant comme le responsable numéro un des pires violences au Pérou en 17 ans.

Mais il a été laissé en liberté provisoire, ce qui constitue un signe et un gage de détente, avant un rassemblement indigène à risque prévu le 5 juin pour l'anniversaire du massacre de Bagua, au nord du pays, en juin 20O9.

Une intervention policière sur un barrage routier tenu par des indiens d'Amazonie avait dérapé en heurts, faisant 34 morts, dont 24 policiers, et 200 blessés. La tragédie avait traumatisé le pays, qui se croyait à l'abri de ce genre de violences depuis les derniers feux des guérillas dans les années 90.

Elle avait entraîné la démission du premier ministre Yehude Simon.

Pizango, indien de l'ethnie Shawi, originaire du Loreto, région du nord péruvien, avait joué un rôle clef dans les protestations indigènes en tant que chef du principal collectif d'indiens d'Amazonie, l'AIDESEP, représentant un peu moins d'un demi-million de personnes, disséminées en 65 ethnies.

Au bout d'un an d'exil, il est revenu mercredi à la demande collective des «apus» (chefs coutumiers) indigènes, a indiqué son avocat Marco Barreto.

Pizango «est libre» a déclaré Barreto à l'AFP jeudi peu après la comparution du leader devant une magistrate de Lima. «Il n'y a aucun ordre de détention contre lui (mais) la procédure judiciaire se poursuit», avec une comparution prochaine devant le juge enquêtant sur Bagua.

Pizango n'a pas fait de déclaration depuis son retour.

À son audience, une poignée de militants ont manifesté devant le cabinet de la juge, tandis que l'actrice germano-péruvienne Q'Orianka Kilcher («Pocahontas» en 2006), militante des droits indigènes, demandait que l'État assume ses responsabilités pour Bagua, en exprimant sa «tristesse que les frères péruviens s'entretuent».

Même si l'État et l'AIDESEP continuent de se renvoyer la balle sur la responsabilité des violences de Bagua, la tension a baissé d'un cran.

Le gouvernement a retiré fin 2009 un recours en justice pour la dissolution de l'AIDESEP. Et avant Pizango, deux autres cadres du collectif, eux aussi exilés depuis Bagua, avaient pu regagner le Pérou, où ils sont en liberté provisoire.

En outre, le Parlement vient d'adopter en mai une loi qui oblige l'État à consulter les communautés indigènes sur des projets les affectant directement. Ce texte met le Pérou en conformité avec la Convention 169 de l'Organisation internationale du Travail (OIT), texte mondial de référence sur les droits indigènes. Le Pérou l'avait ratifié en 1994, mais n'avait jamais donné suite.

Cette loi-cadre, qui était une revendication des indigènes, servira en théorie de référence aux projets futurs d'exploitation des minerais et hydrocarbures d'Amazonie.

Une exploitation que le Pérou, 3e destination au monde pour les investissements de prospection, est résolu à accélérer. Et pour lequel il nécessitera un interlocuteur indien. Comme Pizango.

Prouver son innocence et poursuivre la lutte

Pizango a dit être rentré au Pérou pour «prouver son innocence» dans les événements de 2009, mais aussi poursuivre sa lutte «pas seulement pour les droits des peuples indigènes, mais pour la défense de la planète terre agressée».

Les indiens de l'Amazonie péruvienne, a-t-il rappelé, luttaient pour «le respect de leur droit à être consultés» et la révocation de décrets-lois de 2008-09 sur l'exploitation des ressources de leur région. Ces décrets ont été révoqués après les heurts de Bagua (nord) en juin dernier.

Le parlement à Lima a lui-même «reconnu la légitimité de notre lutte et nous a donné raison sur le droit à être consultés», en adoptant à la mi-mai une législation qui intègre au droit péruvien la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les droits des peuples indigènes.

Pizango a exprimé ses condoléances aux proches de toutes les victimes, policiers et indigènes, des heurts de Bagua, où 24 policiers et dix indiens avaient été tués. Il a demandé une enquête «impartiale et exhaustive» sur les faits.

En liberté conditionnelle, il lui est interdit de quitter le territoire du Pérou.