Sur la sellette à Cuba depuis la mort il y a trois mois d'un prisonnier politique en grève de la faim, le pouvoir communiste de Raul Castro a fait un geste inédit envers l'Église catholique en acceptant de facto sa médiation dans le délicat dossier de la dissidence.

Pour la première fois depuis qu'il a formellement succédé à son frère Fidel en 2008, le général Raul Castro a reçu pendant quatre heures les deux plus hauts prélats de Cuba, le cardinal Jaime Ortega et Mgr Dionisio Garcia, président de la Conférence épiscopale, pour évoquer le sort des prisonniers politiques, plus que jamais un sujet de friction depuis la mort controversée d'Orlando Zapata le 23 février.

Fait rarissime, cette rencontre a fait les gros titres des médias. Le quotidien officiel du Parti communiste, Granma, a rapporté les propos du cardinal évoquant «une ère nouvelle» entre l'Église et l'État, mais sans faire mention d'une possible libération de prisonniers au sujet de laquelle les prélats sont restés prudents.

«Nous avons discuté de ce sujet et je crois que de la part des deux parties il y a une disposition, un souhait que cela soit résolu», a déclaré à l'AFP Mgr Garcia.

L'Église a considérablement amélioré ses relations avec l'État communiste ces dernières années, «même s'il y a toujours une méfiance mutuelle et des préjugés», selon Orlando Marquez, directeur de la revue catholique cubaine Palabra Nueva.

Des dissidents ont déclaré soutenir «entièrement» la médiation des prélats. «L'Eglise a toute notre confiance. Nous avons bon espoir dans les négociations qui, si elles aboutissent pour les prisonniers, pourront se poursuivre sur d'autres problèmes intérieurs», a déclaré à l'AFP le dissident modéré Oscar Espinosa.

La «Dame en blanc», Berta Soler, a quant à elle estimé que le gouvernement, accusé en Occident de bafouer certains droits et certaines libertés, commençait «à écouter».

Il y a trois semaines, le cardinal Ortega était déjà intervenu pour permettre à une dizaine de «Dames en blanc», épouses et mères de prisonniers politiques cubains, de reprendre après la messe dominicale leur marche de protestation silencieuse à La Havane.

Et l'Eglise s'est engagée dans une autre médiation en faveur du cyberjournaliste Guillermo Farinas, 48 ans, en grève de la faim depuis près de trois mois pour obtenir la libération de 26 prisonniers politiques ayant des problèmes de santé.

Selon des diplomates, il y a une volonté du gouvernement «d'apaiser les tensions» causées par la mort de Zapata, 42 ans, des suites d'une grève de la faim de deux mois et demi, ce qui ne s'était pas produit depuis 1972.

La dissidence a accusé le gouvernement d'«avoir laissé mourir» le détenu alors que les États-Unis et l'Union européenne ont réclamé la libération des 200 prisonniers politiques que compte le pays, selon l'opposition. Le Parlement européen a condamné la mort «cruelle» et «évitable» de Zapata.

Cuba a riposté en dénonçant une «campagne» européenne visant à «salir la Révolution» et en renforçant les pressions contre la dissidence.

«Raul Castro ne veut pas céder aux pressions de l'Europe et des États-Unis, mais il ne veut pas non plus la mort d'un détenu malade. L'Eglise, une figure neutre, lui offre une porte de sortie acceptable», estime un diplomate en évoquant l'état de santé «préoccupant» de plusieurs détenus.

Pour La Havane, les opposants sont des «mercenaires» à la solde des États-Unis qui maintiennent depuis 48 ans un embargo contre Cuba.

La dernière libération d'un prisonnier politique remonte à fin 2009, à la demande du gouvernement socialiste espagnol.

En 1998, peu après la visite du pape Jean Paul II à Cuba, 300 prisonniers - politiques et de droit commun - avaient été libérés par Fidel Castro, le père de la Révolution de 1959.