Charlimar, 23 ans, vient de réaliser le «rêve» de sa vie en imitant sur scène la chanteuse Shakira lors du premier spectacle cubain de travestis, donné en plein air devant 2 000 personnes à Santa Clara, ville associée au viril «commandante» «Che» Guevara.

Sous le patronage de la sexologue Mariela Castro, fille du président Raul et nièce de Fidel, 17 travestis sont montés sur scène lors de ce spectacle inhabituel, organisé dans une atmosphère festive dans une rue fermée à la circulation et surveillée par la police à Santa Clara (270 km à l'est de La Havane).

«Ca fait trois ans et demi que je suis travesti. Certains ont attendu beaucoup plus longtemps que moi pour voir leur rêve se réaliser» sur scène, dit Dayan Marin, ou Charlimar, un designer de vêtements, juste avant la présentation du spectacle, point d'orgue des IIIe Journées cubaines contre l'homophobie qui se sont terminées mardi.

«Ce spectacle va nous permettre d'être entendus par les gens», confie pour sa part Omega (Iroshi Santos), 22 ans, vêtu de tulle et dentelle blancs.

Sur cette île communiste, critiquée en Occident pour ses graves manquements en matière de droits et libertés, où les homosexuels étaient envoyés dans des camps de rééducation dans les années 1960, ce spectacle a pu se dérouler grâce au centre d'éducation sexuelle (Cenesex) de Mme Castro devant une foule bigarrée qui applaudissait à tout rompre, a constaté un journaliste de l'AFP.

«C'est important que, pour un jour comme aujourd'hui, nous célébrions (...) tous ensemble pour apporter une énergie positive», estime Mme Castro, directrice du Cenesex qui prône le mariage et l'adoption par les couples homosexuels.

«Ne laisse pas les préjugés décider pour toi» ou «Ne limite pas ta liberté ni celle des autres», scandaient certains dans la foule alors que sur une affiche on pouvait lire: «l'homosexualité n'est pas un danger, l'homophobie, si».

«C'est merveilleux que l'on puisse partager avec tout le monde dans la rue! Sans se faire rejeter ni être marginalisés», s'exclame Zulema Anderson, de son vrai nom Lazaro Diaz, un styliste de 24 ans qui attend avec «anxiété» le jour où il pourra enfin subir une opération de changement de sexe.

Ces interventions sont permises à Cuba depuis 2008 mais les candidats, opérés gratuitement, doivent auparavant recevoir le feu vert de médecins et psychologues.

Ramon Silverio ne cache pas sa joie, lui qui a fondé il y a 26 ans le centre culturel la «Mixité», accueillant des spectacles de travestis et devant lequel la scène a été installée. «Il y a ici un public de tous âges, de toutes croyances et tendances, il y a ici tout le monde. Et c'est le plus important», dit M. Silverio.

Mais tout le monde n'apprécie pas le spectacle dans les rues de Santa Clara, ville conquise par les hommes d'Ernesto Che Guevara (1928-1967) en 1958 et qui garde depuis 1997 les restes du célèbre révolutionnaire argentin.

«C'est une honte d'organiser un tel spectacle dans la rue. C'est la ville du Che ici», lance une femme préférant garder l'anonymat alors que l'homophobie reste très présente dans la société cubaine et, selon Mme Castro elle-même, dans les instances du Parti communiste unique.

Mais pour Carlos, un infirmier homosexuel de 47 ans accompagné de son petit ami José, 37 ans, il n'y a pas de contradiction. «Je suis gay mais j'adore le Che et je suis convaincu qu'un homme comme lui nous aurait acceptés», dit-il.

Après avoir réalisé son rêve sous la voûte étoilée, Charlimar n'a de son côté plus qu'un seul désir et qu'une seule crainte: raconter enfin à sa mère qui il est vraiment.