«On se bouge, on se bouge... on avance, on avance!»: le lieutenant Wilson Santos aboie ses encouragements à la cinquantaine de soldats qui progressent, bêchent, coupent à la machette, ou arrachent à la main les arbustes de coca sur un flanc de moyenne montagne tropicale près de La Asunta, dans l'Est de la Bolivie.

Depuis deux semaines, l'armée bolivienne est en pleine campagne d'arrachage de plants de coca dans la région, signe d'une détermination antidrogue affichée par le gouvernement, qui rencontre toutefois des réticences sur le terrain, et un certain scepticisme à l'international.

L'objectif est d'arracher 5 000 à 8 000 hectares par an, afin que la production passe sous la barre des 12 000 hectares tolérés par la loi bolivienne pour les usages légaux de la feuille de coca. C'est-à-dire autres que pour fabriquer la cocaïne, dont la Bolivie est 3e producteur mondial.

L'État bolivien reconnaît que les cultures illégales «se multiplient comme des champignons» : plus de 30.000 hectares au total.

Ici, au coeur de la région cocalière des Yungas, à 20O km de La Paz, la zone est jugée excédentaire.

Officiellement, on ne parle plus «d'éradication» de coca, mais de «rationalisation». Pas d'arrachage forcé, mais un accord préalable avec le propriétaire avec en contrepartie une aide aux cultures de substitution, et des investissements dans les infrastructures locales, routières et sanitaires.

L'accord est fragile et la stigmatisation de la coca ne passe pas bien dans la région de La Asunta. D'abord parce que 15.000 personnes vivent ici de l'agriculture, surtout de la coca, qui peut donner deux à trois récoltes par an, davantage que les agrumes ou le café.

Ensuite, parce que la feuille a un usage traditionnel très important dans les Andes, depuis des millénaires. Elle est mastiquée, infusée, utilisée dans les cérémonies rituelles aymaras.

«La production d'ici va aux marchés légaux de La Paz, il y a un contrôle!», se défend un dirigeant paysan local, Emilio Mayta.

La coca des Yungas est réputée plus douce, idéale pour la mastication. Des paysans soulignent que si une feuille était vouée à alimenter la cocaïne, ce serait plutôt celle de l'autre région productrice de coca, le Chapare central et fief du président Evo Morales, qui y demeure dirigeant syndical cocalero.

Autre reproche des habitants: dans ce sud-Yungas aux rivières sans ponts, aux routes d'accès défoncées, aux villes dépendant de générateurs électriques, on se plaint du retard des investissements promis.

«Il y a une confusion de la part du gouvernement», dit Severino Mamani, un cocalero. «On a besoin de développement ici tout de suite, pour nous permettre de passer de la coca à un autre produit. Parce que si le gouvernement continue simplement à arracher, de quoi allons-nous vivre?».

À l'international, le pays a été placé sur la «liste noire» de Washington. Le département d'État américain a dénoncé dans un rapport récent la politique «permissive» de la Bolivie où la culture de coca aurait explosé, tout comme la capacité de production de cocaïne qui aurait augmenté de 50% en trois ans.

Le président Evo Morales, résolu à développer le commerce de la feuille, veut quant à lui élever le plafond légal en Bolivie à 20.000 hectares cultivés, même si par endroits comme aux Yungas, on arrache.