Un demi-siècle après la révolution de Fidel Castro qui avait proclamé avoir éliminé le fléau du racisme, l'île communiste de Cuba a lancé des débats publics pour contrer la discrimination et les préjugés persistants à l'égard des Noirs dans cette société métissée.

«Je ne suis pas raciste, mais je ne veux pas que ma fille ait un fiancé noir. Je lui ai dit: «J'ai épousé ton père pour avancer dans la vie, non pour reculer», dit à l'AFP Celia, une ancienne enseignante de 52 ans.

À Cuba, une ancienne colonie espagnole des Caraïbes qui a longtemps été une terre d'esclavage pour des centaines de milliers d'Africains, le racisme est aujourd'hui fait de «non, mais», selon des experts cubains qui ont débattu récemment sur cette question à la télévision locale - une première pour Cuba.

Une «publicité éducationnelle» - montrant une petite fille noire jouant avec une poupée blanche et sa copine blanche avec une poupée noire avant qu'une adulte ne tente d'échanger les poupées- est également diffusée à la télévision.

«Si vingt Noirs passent dans la rue, la police va vérifier les papiers d'identité de 18 d'entre eux; si c'est 20 Blancs qui passent, la police va vérifier les papiers de deux d'entre eux», affirme Yeimi Mora, une femme au foyer de 35 ans.

Daniel Casanova, un mulâtre de 29 ans, employé dans une cafétéria, et Carmen Leon, une Espagnole blonde de 41 ans, se promènent parfois main dans la main dans les rues de La Havane. Mais leur couple «blanc-noir» leur attire des ennuis avec les agents de police.

«Ils nous demandent nos papiers d'identité, depuis combien de temps nous nous connaissons ou si nous sommes mariés. Et cela d'une rue à l'autre. Mais dans mon pays, ce serait pire», assure Carmen qui travaille dans un laboratoire en Espagne et maintient avec Daniel une relation à distance depuis un an.

Pour Daniel, la pauvreté est en cause. «Ici, le problème économique fait que tout le monde vole, sauf qu'on accuse les Noirs pour cela».

L'argot cubain est aussi révélateur: avoir une relation amoureuse avec un Noir se dit «avoir un démérite à son dossier».

Selon des universitaires cubains, la révolution de 1959 a réussi à éliminer le racisme institutionnel qui était auparavant si répandu que même le dictateur Fulgencio Batista, un mulâtre, n'avait pas été admis au très chic Club Habana.

Après l'approbation d'une politique et de lois égalitaires, le problème a été donné comme résolu par le gouvernement révolutionnaire. En plein conflit avec les États-Unis, les autorités cubaines ont préféré ensuite maintenir le silence sur ce sujet très sensible, pour éviter toute division nationale.

Mais la crise économique qui a touché de plein fouet Cuba à la chute de l'URSS en 1991 a mis en lumière des inégalités frappant davantage les Noirs.

«Nous devons prendre le taureau par les cornes et débattre de cette question. Il serait stupide de penser que malgré 50 ans de révolution, il n'existe pas de stéréotypes raciaux, de discrimination et de racisme», souligne Esteban Morales, politologue à l'Université de La Havane.

Selon M. Morales, plus de 60% des 11,2 millions de Cubains sont noirs ou mulâtres, mais selon le recensement, 65% des Cubains se sont déclarés blancs.

Cuba compte une population métissée culturellement et socialement, mais «on commence juste à voir un peu plus de Noirs dans certains postes importants et au sein de la direction politique», estime Anita Montero, une Havanaise de 37 ans.

Des personnalités afro-américaines avaient appelé en décembre le gouvernement de Raul Castro à cesser le «harcèlement», selon eux, contre les Noirs cubains, une accusation fermement réfutée à La Havane.