La présidente du Chili Michelle Bachelet, qui fut détenue et torturée sous la dictature (1973-1990), a inauguré un «musée de la Mémoire» en hommage aux victimes de ce régime, une cérémonie comme un testament politique pour le centre-gauche au pouvoir depuis 20 ans.

Mme Bachelet, qui achève son mandat dans deux mois, a salué dans le musée, un projet emblématique de sa présidence, un «symbole puissant de la vigueur d'un Chili uni (...) dans la promesse de ne jamais connaître de nouveau une tragédie comme celle dont nous nous souviendrons toujours en ce lieu». «Nous ne pouvons changer notre passé, mais nous pouvons apprendre de ce qui  a été vécu», a-t-elle déclaré lundi soir, après avoir visité l'impressionnante collection. Des objets intimes ou officiels, des documents d'époque évoquant les années de plomb, qui firent 3 200 morts ou disparus, rappellent sur 5 600 mètres carrés qu'il y eut 28 000 cas de torture recensés.

Ici, un sommier métallique utilisé pour torturer à l'électricité. Là, un mur géant avec les photos des 3 200 morts ou disparus. Plus loin, des objets d'«artisanat» confectionnés en prison ou des lettres de détenus, comme celle du père de Mme Bachelet, mort en détention en 1974.

La présidente, comme des milliers de Chiliens, a fourni des objets familiaux pour la collection, donnant un relief personnel émouvant à l'inauguration du musée, construit en un an avec 20 millions de dollars rassemblés par un Fonds pour les projets du Bicentenaire du Chili.

La résonance était aussi politique, à six jours du 2e tour de l'élection  présidentielle qui, selon tous les sondages, devrait voir le retour de la droite au pouvoir, pour la première fois après 20 ans de gouvernement de centre-gauche depuis la fin de la dictature.

Sebastian Pinera, un riche entrepreneur de 60 ans issu de la droite modérée, dispose de plus de 5 points d'avance, selon la dernière enquête, sur Eduardo Frei, 67 ans, candidat du centre-gauche et déjà président de 1994 à 2000.

Mme Bachelet était accompagnée de ses prédécesseurs, Patricio Aylwin, Frei et Ricardo Lagos. Elle a salué ces trois «hommes justes qui représentent 20 ans de liberté et de respect des droits de l'Homme», en rappelant les acquis de la coalition au pouvoir, menacée électoralement.

L'inauguration a aussi été rattrapée par la politique à travers les huées  d'une partie du public pour l'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa présent, invité de Mme Bachelet. Ils lui reprochaient d'avoir exprimé il y a quelques jours son soutien à Pinera.

«Qu'il s'en aille ! Un type qui soutient Pinera n'a rien à faire ici !», ont crié plusieurs membres de l'assistance. Vargas Llosa était invité en tant que président d'un projet de musée similaire au Pérou sur son conflit interne (1980-2000).

Pour nombre d'analystes, une des raisons du succès de Pinera est d'avoir réussi à incarner une droite modérée, fréquentable, lavée de l'association avec la dictature et qui vota «non», en 1988, au référendum sur le maintien au pouvoir du dictateur Augusto Pinochet.

Lundi soir lors du débat présidentiel télévisé, Pinera n'a pas exclu, s'il est élu, d'appeler à son gouvernement des fonctionnaires ayant servi sous la dictature. Le fait d'avoir travaillé pour elle «sans avoir commis de crimes, ni de violations des droits de l'Homme, n'est aucunement un péché», a-t-il dit.