Un Parlement appelé à débattre sous pression d'une dépénalisation partielle de l'avortement, la gratuité de la «pilule du lendemain» suspendue: deux fortes polémiques en une semaine ont montré que l'Église catholique donne encore le ton au Pérou sur les enjeux sociaux.

Le pays rejoindra peut-être la petite majorité de ceux d'Amérique latine qui autorisent l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans des cas exceptionnels (danger de mort pour la mère, viol, grave malformation du foetus), certains interdisant l'avortement sans exception (Chili, Salvador, Honduras).

Mais si le Parlement a confirmé mardi qu'il débattra du sujet, aucune date n'est fixée et le vote est loin d'être joué. Le gouvernement est divisé, un ministre a menacé de démissionner et au sein du parti présidentiel «pros» et «antis» s'affrontent.

Des divisions attisées par un jugement du Tribunal constitutionnel qui a interdit à l'État de distribuer gratuitement la «pilule du lendemain», sans pour autant restreindre la possibilité de vente par les laboratoires et pharmacies privés, au prix de 20-25 soles (4,5-6 euros).

Les juges, saisis par une ONG catholique, ont estimé que le doute n'était pas levé sur le caractère «abortif» de la pilule, alors que saisis par l'État en 2006, ils avaient validé sa mise à disposition gratuite.

Dans cette affaire, la presse a fait état d'un lobbying assidu et de pressions personnelles exercées sur les juges par la hiérarchie de l'Eglise.

Certains ministres ont dénoncé un jugement «injuste», puisque ceux qui pourront payer achèteront la pilule, tandis que les pauvres n'y auront plus accès.

«Béni soit l'État dont la Constitution défend l'enfant dès le premier instant», a applaudi samedi la figure tutélaire de l'Eglise péruvienne, Juan Luis Cipriani, le premier cardinal de l'Opus Dei nommé dans le monde, en 2001.

L'archevêque de Lima incarne le glissement conservateur, sous le pontificat de Jean-Paul II, d'une Eglise péruvienne qui fut dans les années 70 un foyer progressiste, berceau de la théologie de libération. Et dont le clergé de base est resté proche des pauvres et de la réalité des violences sexuelles.

Mgr Cipriani avait appelé cette semaine le Parlement à refuser de débattre d'une dépénalisation partielle de l'IVG. Sous pression, une commission parlementaire s'est saisie à deux reprises, et à deux reprises elle a validé le principe d'un débat parlementaire.

«L'Église reste l'institution la plus forte et importante au Pérou», selon Jeffrey Klaiber, spécialiste d'histoire religieuse à l'Université catholique de Lima. «Elle très influente, tant par sa proximité avec l'establishment politique, qu'auprès des Péruviens eux-mêmes».

Elle perd du terrain avec la montée d'une classe moyenne détachée de la religion: 60% des Péruviens sont pratiquants, 10 à 15% de façon régulière, estime Klaiber. Mais si la légalisation de l'IVG était soumise à référendum, le «non» l'emporterait sûrement, dit-il.

Selon un sondage récent, 53% des Péruviens désapprouvent l'avortement en cas de viol et 48% en cas de malformation du foetus. À l'heure actuelle, il n'est légal que pour sauver la vie de la mère.

Le problème c'est que «les riches avortent, les pauvres meurent», expliquaient les militantes pour une dépénalisation partielle, lors d'une manifestation devant le Parlement. La majorité des 300-400 000 avortements clandestins au Pérou se font dans des conditions à risque.

«L'accès à un avortement sûr et légal est une question de droits de l'Homme», a pour sa part déclaré l'organisation Human Rights Watch dans une lettre aux députés péruviens.