L'un a passé 13 ans en prison, l'autre a connu les ors de la république: le duel entre l'ancien guérillero José Mujica et l'ex-chef de l'État libéral Luis Alberto Lacalle, principaux candidats à la présidentielle de dimanche, replonge l'Uruguay dans son passé pour un choc des cultures.

Mujica, né en 1935, a grandi en cultivant des fleurs, éduqué par sa mère après la mort du père, un paysan ruiné. Lacalle, de six ans son cadet, a été élevé dans la tradition par une famille de propriétaires terriens entretenant le souvenir du grand-père, Luis Alberto de Herrera, pilier du Parti National (PN) et figure emblématique de la vie politique uruguayenne.

Adultes, ils participent tous deux à l'histoire tragique de ce pays sud-américain de 3,3 millions d'habitants, coincé entre l'Argentine et le Brésil.

«Pepe», comme on surnomme José Mujica, favori dans les sondages, a fondé au début des années 60 la guérilla d'extrême-gauche du Mouvement de Libération national-Tupamaro (MLN-T), qui prônait la lutte armée contre le système capitaliste et l'État «bourgeois».

En 1970, il est blessé de plusieurs balles et fait prisonnier, avant de participer à l'évasion la plus spectaculaire de l'histoire de l'Uruguay, quand 111 prisonniers s'enfuient de la prison «Liberté» de Punta Carretas, aujourd'hui devenue un centre commercial.

Pendant ce temps, Lacalle, avocat et propriétaire de l'estancia «Santa Margarita» de près de 1.000 hectares, fait ses premiers pas en tant que député de droite.

À l'époque, les actions des «tupamaros», dans un pays frappé par une grave crise économique, contribuent à la radicalisation du climat politique, qui dégénère en un coup d'État militaire en juin 1973.

«Pepe», arrêté dès 1972, restera en prison jusqu'au retour de la démocratie en 1985, emprisonné dans des conditions inhumaines, enfermé dans des puits.

Pendant la dictature, Lacalle est arrêté quelque semaines et reçoit plus tard dans un colis anonyme une bouteille de vin empoisonné, dont il n'a pas bu. En 1985, il devient sénateur et en 1989 il est élu président de la république sous les couleurs du PN («blanco»), avec 38% des voix.

La gestion de Lacalle est marquée par une amélioration du niveau économique de l'Uruguay et l'entrée du pays dans le Mercosur, le marché commun du Cône sud avec l'Argentine, le Brésil et le Paraguay.

Mais en 1995, la fin de son mandat est entâchée de poursuites pour corruption contre certains de ses collaborateurs.

Mujica reprend quant à lui du galon et devient le premier ancien guérillero élu à la chambre des députés. Tout le monde s'en souvient en Uruguay. Arrivé en scooter au parlement, cet homme rond et moustachu vêtu d'un jean et d'une chemise, avait été refoulé par les gardes.

Il faudra attendre 14 ans de plus, lors d'une visite au Brésil, pour le voir porter son premier costume afin d'en finir avec les railleries sur son style vestimentaire. Le franc-parler de cet ex-ministre de l'Agriculture déclenche aussi souvent des polémiques, comme lorsqu'il traita l'Argentine voisine, partenaire obligée de l'Uruguay, de nation «irrationnelle et hystérique».

Lacalle, homme politique habile au style plus classique, cheveux blancs en arrière, a réussi son retour en remportant cette année les primaires de son parti pour la présidentielle.

Mujica, 74 ans, est marié avec une ancienne guérillera, Lucia Toplanski, et n'a pas d'enfants. Lacalle, 68 ans, est marié à Julia Piou avec qui il a trois enfants.