Un quart de siècle après la fin de la dictature (1973-1985), l'Uruguay se penche dimanche sur un passé encore douloureux, avec un référendum sur l'annulation de la loi de «caducité», qui a longtemps empêché toute poursuite contre militaires et policiers.

Le scrutin aura lieu en même temps que les élections présidentielle et législatives dans ce pays sud-américain de 3,3 millions d'habitants. Selon un sondage publié lundi par la quotidien Ultimas Noticias, 47% des Uruguayens sont favorables à l'annulation de la loi, 40% opposés, 13% sans opinion. Alors que l'Argentine voisine a annulé ses lois d'amnistie de la dictature (1976-1983) en 2003 et qu'environ 500 militaires sont poursuivis au Chili pour crimes contre l'humanité commis sous le régime du général Augusto Pinochet (1973-1990), le sort des disparus uruguayens reste largement inconnu.

«On m'a dit qu'ils avaient jeté mon père au large des côtes de Colonia (sud-ouest), mais aucun des corps retrouvés par une équipe d'experts légistes argentins n'était le sien», raconte ainsi Adriana Cabrera.

Elle avait 20 ans le jour de la disparition de son père Ary, militant de gauche enlevé en avril 1976 à Buenos Aires, où il avait fui trois ans plus tôt la dictature en Uruguay.

Après le retour de la démocratie en 1985, cette écrivaine a déposé plainte, comme d'autres proches des 231 disparus recensés par la Commission de la paix créée en 2000 par la présidence, mais les militaires refusèrent de répondre aux convocations des juges.

Pour éviter une crise institutionnelle, le parlement adopta à la hâte fin 1986 cette loi de «caducité», qui oblige les juges à consulter l'exécutif pour savoir s'ils peuvent poursuivre militaires et policiers dans des affaires de violation des droits de l'homme.

En 1989, le texte fut ratifié par référendum et l'exécutif l'interpréta longtemps comme une amnistie de facto.

Il fallut attendre 2005 et l'arrivée au pouvoir de Tabare Vazquez, premier président de gauche de l'histoire du pays, pour qu'un gouvernement autorise pour la première fois la justice à enquêter sur quelques cas.

Deux anciens dictateurs, Juan Maria Bordaberry (1973-1976) et Gregorio Alvarez (1981-1985) sont en attente de jugement, et huit ex-soldats et policiers ont été pour la première fois condamnés pour des violations des droits de l'homme durant la dictature.

Mais pour Adriana Cabrera il faut aller plus loin.

C'est pourquoi elle s'est jointe à la «Coordination pour l'annulation de la loi de caducité», qui a réuni en avril le nombre de signatures suffisantes pour organiser le référendum de dimanche.

«Si la loi est annulée, la justice devra rouvrir toutes les plaintes rejetées par l'exécutif au nom de la loi de caducité. C'est une sorte de bataille morale», estime-t-elle.

Dans le camp des opposants à l'annulation, l'ex-président de droite Luis Alberto Lacalle (1990-1995), également candidat à la présidentielle, dénonce une aberration juridique qui pourrait paradoxalement entraîner la libération des militaires emprisonnés dans des procédures déjà conclues.

Un argument catégoriquement rejeté par les partisans du «oui», qui estiment de toute façon que la loi de caducité viole le principe de séparation entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire prévus par la Constitution.

Ce point a semble-t-il convaincu la Cour suprême. Interrogée sur un cas précis, elle a jugé la loi anticonstitutionnelle lundi soir, selon son porte-parole Raul Oxandabarat.

Cette décision ne signifie pas l'abrogation du texte, mais tombe à point nommé pour le camp du oui avant le référendum.