Les «ondes multicolores» de Radio Diversia, la première des radios gay colombiennes, se sont tues mercredi après des menaces de mort visant son directeur, contraint de quitter le pays, tandis que son équipe a rejoint la «clandestinité».

Mercredi, les cinq speakers se sont adressés à leurs auditeurs pour la dernière fois après près d'un an et demi d'émissions, et la coordinatrice de Radio Diversia, Nikita Dupuis, a éteint ses équipements, débranché les microphones et remis les clefs des locaux au propriétaire entre rage et frustration. L'équipe s'est repliée dans d'autres locaux, dont les adresses sont gardées précieusement secrètes, pour émettre environ une heure par semaine.

«Chaque jour, nous étions écoutés par quelque 3.800 auditeurs en Colombie, mais aussi, sur Internet, par des habitants de villes sud-américaines et d'Europe», témoigne Nikita Dupuis.

«Nous avions une programmation 24 heures sur 24 et menions des débats pour promouvoir le droit à la liberté sexuelle», ajoute-t-elle.

Des débats qui, apparemment, n'étaient pas du goût de certains homophobes en Colombie.

«Toute cette douloureuse histoire commence le 30 avril dernier avec le vol dans les installations de notre radio de deux ordinateurs contenant un fichier avec les identités de tous les membres de la communauté LGBT (Lesbiens, gay, bisexuels et trans) et trav de Bogota», témoigne-t-elle.

«Nous avions des équipements qui dépassaient largement la valeur de ces ordinateurs mais ils n'ont emporté que ça».

Quelques jours plus tard, le 5 mai, le directeur a reçu un premier courriel menaçant. Dans la missive, un groupe se faisant appeler «L'Organisation» confirme qu'il est en possession de la base de données des «folles PD» et fixe au directeur un délai de huit jours pour quitter le pays.

À la mi-mai, sur le chat du site Internet de la radio, Carlos Serrano a reçu une nouvelle menace où il lui était signifié que la précédente missive était «sérieuse» et liée à «son orientation sexuelle».

«Désormais, nous émettons une heure par semaine depuis des appartements prêtés et nous nous déplaçons constamment», confie Nikita Dupuis.

L'«Organisation» fait parler d'elle depuis plusieurs mois.

En mars, des centaines de tracts menaçant les extrémistes de gauche mais aussi les délinquants, prostituées et homosexuels ont été distribués dans les grandes villes.

Une vingtaine de départements sur 32 étaient ainsi concernés par les tracts menaçants dans ce pays de 44 millions d'habitants où les groupes armés ne manquent pas: selon certaines estimations, outre les quelque 10.000 combattants des guérillas d'extrême-gauche, la Colombie pourrait encore compter entre près de 10.000 membres de milices héritières des paramilitaires d'extrême-droite démobilisés à partir de 2003.

Et, dans certains cas, les missives désignaient même nommément des citoyens.

Le général Orlando Paez, en charge de la sécurité citoyenne au sein de la police, avait déclaré à l'AFP que des «bandes émergentes» - qualification officielle pour les bandes criminelles composées en partie d'anciens paramilitaires - pouvaient chercher à créer un «climat de crainte, en représailles au coups portés», contre ces bandes.

Selon les autorités de Bogota, au moins une vingtaine d'attaques ont depuis été répertoriées contre des prostituées, des homosexuels et des travestis, en particulier dans le nord de la ville.

Les Nations unies ont réagi en condamnant ces menaces tandis que le bureau à Bogota du Haut commissariat des droits de l'Homme a facilité la sortie du pays de Carlos Serrano.