La candidature de l'ex-otage Ingrid Betancourt au prix Nobel de la paix, proposée par le Chili, suscite en Colombie plus d'un débat, certains estimant qu'elle n'a pas encore fait ses preuves en faveur de la paix mondiale.

«Ingrid Betancourt a tous les mérites pour le prix Nobel», assure l'un de ses plus fervents défenseurs, Luis Eladio Perez, qui a partagé près de quatre ans de captivité avec elle.

La Franco-colombienne, candidate à l'élection présidentielle de 2002 en Colombie, «a été enlevée parce qu'elle était une femme politique aguerrie qui luttait contre les inégalités dans le pays, et pendant sa captivité, elle est devenue un symbole d'intégrité. Elle n'a jamais renoncé à ses idéaux», souligne-t-il.

Pour les otages encore aux mains de la guérilla, le prix Nobel de la paix à Ingrid Betancourt «serait une immense aide. Imaginez le pouvoir et l'influence qu'il accorderait à une cause comme celle d'Ingrid», ajoute cet ancien président de la Commission des affaires étrangères du Sénat colombien.

Mais, selon un sondage sur cette candidature publié récemment par la station privée Radio W, tout le monde ne partage pas son avis: l'enquête rapporte 46% d'opinions «relativement enthousiastes», 33% d'opinions «sans enthousiasme» et 11% d'avis «très enthousiastes».

Elle «suscite beaucoup de discussions», témoigne Herbin Hoyos, le journaliste qui a fondé l'émission de radio devenue incontournable en Colombie, «Les voix de l'enlèvement», sur Radio Caracol, où les proches de personnes enlevées leur transmettent chaque jour des messages.

Parmi les candidats à un Nobel, «il faut distinguer ceux qui présentent un projet qui contribue à la paix des peuples», et les autres, ajoute-t-il, en estimant que l'ex-otage des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), libéré le 2 juillet après six ans et demi de captivité, a pour l'instant seulement montré «un grand courage pour s'affronter à la guérilla et une résistance humaine contre la mort».

La présidente de l'Asssociation des familles de militaires et policiers enlevés par la guérilla, Marleny Orjuela, craint pour sa part que le drame des quelque 3.000 otages encore en captivité en Colombie soit éclipsé par un tel prix et estime que seul un Nobel «au nom de toutes les victimes» serait valable.

«Nous demandons toujours qu'il n'y ait pas d'otages de première ou seconde catégorie. Tous les otages, riches ou pauvres, connus ou anonymes, souffrent du même drame. Les proches vivent la même tristesse et la même frustration. Je pense que tous les otages méritent le Nobel», a-t-elle déclaré à l'AFP.

Certains s'aventurent même plus loin, comme cet ex-ministre et diplomate colombien: «Ce n'est pas politiquement correct de le dire et inacceptable en France, mais Ingrid n'était pas très populaire en Colombie» au moment de son enlèvement en 2002, dit-il.

«Le Nobel doit être remis à une personne qui a consacré sa vie à la paix (...) la figure d'Ingrid en Jeanne d'Arc a été construite pour et par les Français», affirme-t-il encore, sous couvert de l'anonymat.

«Le phénomène Ingrid est incompréhensible en Colombie. Il y a même des gens qui sont gênés par la campagne internationale autour d'elle, car ils pensent qu'elle véhicule une mauvaise image du pays», a écrit récemment une éditorialiste du journal El Tiempo, Maria Jimena Duzan.

Pour beaucoup de Colombiens, résume Herbin Hoyos, Ingrid Betancourt «sera une candidate parfaite lorsqu'elle aura réussi à faire signer un accord de paix avec la guérilla, grâce à son expérience, mais là, c'est très prématuré».