Au terme d’un procès controversé, le politicien Ousmane Sonko a été condamné jeudi à deux ans de prison ferme pour « corruption de mineur », ce qui a provoqué une flambée de violence

Nouveau chapitre dans la saga politico-judiciaire qui tient le Sénégal en haleine depuis deux ans. L’opposant politique et candidat à la présidentielle Ousmane Sonko a été condamné jeudi à deux ans de prison ferme pour « corruption de mineur ».

Le verdict, très attendu, a provoqué une flambée de violence dans nombre de villes du pays, dont Dakar, Casamance et Saint-Louis. Selon l’AFP, des groupes de jeunes supporters du politicien ont attaqué des biens publics en de nombreux points de la capitale, brûlé des pneus et entravé la circulation sur la route menant à l’aéroport.

Neuf personnes ont été tuées jeudi dans ces violences qui ont éclaté après la condamnation de l’opposant, a indiqué le ministre de l’Intérieur Antoine Diome.

Dans la soirée, plusieurs réseaux sociaux et plateformes de messagerie, dont WhatsApp, subissaient de sérieuses restrictions d’accès.  

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Affrontement entre policiers et partisans d'Ousmane Sonko dans les rues de Dakar

C’est dire les tensions entourant ce procès très suivi, qui réunissait tous les ingrédients d’une série télévisée.

Le chef du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), également maire de la ville de Ziguinchor (Sud), était accusé de viol et de menaces de mort, ce qui aurait pu lui valoir jusqu’à 10 ans de prison.

La plaignante, Adji Sarr, ancienne employée du salon de beauté où M. Sonko allait se faire masser, avait moins de 21 ans et était donc mineure au moment des faits présumés. Elle affirme que M. Sonko a abusé d’elle à cinq reprises entre fin 2020 et début 2021. Son récit, souvent très explicite, a divisé l’opinion. Menacée et insultée depuis que le scandale a éclaté, elle est toujours sous protection policière.

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Un manifestant lance une pierre en direction de la police antiémeute, à Dakar.

M. Sonko n’a cessé pour sa part de nier les accusations et prétend qu’il s’agit d’une machination du pouvoir pour l’écarter de la présidentielle de 2024, où il est considéré comme le plus sérieux rival du président Macky Sall.

La décision du tribunal compromet en effet ses chances d’être candidat, même si la « corruption de mineur » est un délit moins grave qu’un viol. L’éligibilité de M. Sonko est d’autant plus remise en question qu’il a été condamné en appel, début mai, à six mois de prison avec sursis pour diffamation contre un ministre.

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L'opposant Ousmane Sonko, en 2021

« Sa candidature est en péril », a reconnu jeudi un de ses avocats.

Sonko et la carte de la victimisation

Reste à voir quel impact aura cette décision de justice sur la popularité du politicien. À l’image d’un Trump qui semble sortir renforcé de ses procès pour viol, Ousmane Sonko joue la carte de la victimisation et tente de tourner la situation à son avantage.

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Des groupes de jeunes supporters d'Ousmane Sonko ont attaqué des biens publics en de nombreux points de la capitale.

« Il ne s’est pas présenté à son procès, il a organisé une “caravane de la liberté”, souligne Leonardo A. Villalon, professeur de sciences politiques à l’Université de Floride, spécialiste du Sahel. Avec ce calcul politique, il tente de se présenter comme une figure marginalisée parce qu’il représente une menace pour le régime. »

L’ascension de Sonko est en tout cas indéniable. Troisième à l’élection présidentielle de 2019, élu maire de Ziguinchor en 2021, le politicien de 48 ans plaît par sa jeunesse et son discours populiste. « Il y a une longue tradition au Sénégal de ces figures d’opposition populaires qui émergent en dénonçant le pouvoir en place », résume M. Villalong.

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Policiers antiémeute marchant près d'une voiture incendiée

Même éligible, rien ne dit toutefois qu’il remporterait le scrutin présidentiel. « Ses soutiens sont bruyants, ils lancent des pierres et brûlent des pneus, mais c’est une jeunesse désœuvrée, qui ne représente pas nécessairement un gros socle électoral, ajoute l’expert. Et puis il polarise. Il a clairement un noyau dur de supporters, mais il a refroidi pas mal de monde. »

Une attaque frontale dénoncée

Le procès, très médiatisé, représentait aussi un enjeu pour la cause des femmes au Sénégal, où le viol n’a été criminalisé qu’en 2019. Dans un contexte post #metoo, les références à l’affaire Dominique Strauss-Kahn n’ont pas manqué de faire surface, certains médias parlant même d’un « DSK version tropicale ».

Des féministes ont toutefois regretté que l’aspect politique du procès ait relégué au second plan le débat sur le consentement et les violences sexuelles dans le pays.

L’accusé en a rajouté cette semaine, en s’en prenant frontalement à Adji Sarr dans une vidéo. « Si je voulais la violer, j’allais choisir une belle femme, pas une guenon avec un AVC », a déclaré Ousmane Sonko.

Propos bas de gamme aussitôt dénoncés par une cinquantaine de personnalités sénégalaises dans une lettre ouverte envoyée aux médias. « Au-delà de prouver un manque de culture notoire quant aux stéréotypes racistes et sexistes, ces propos viennent renforcer et normaliser la culture du viol et sont indignes d’un homme qui aspire à la plus haute fonction dans notre pays. »

Le tribunal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle arrestation de M. Sonko. Celui-ci est également condamné à verser 20 millions de francs CFA (43 400 $ CAN) de dommages et intérêts à la plaignante, conjointement avec la patronne du salon de beauté, également condamnée à deux ans de prison pour incitation à la débauche.

Au moment du verdict, l’aspirant président était présumé se trouver chez lui à Dakar, bloqué depuis dimanche par un important dispositif policier.

Avec l’Agence France-Presse