(Khartoum) L’acheminement de l’aide humanitaire est resté impossible mercredi au Soudan, où les civils attendent toujours l’ouverture de couloirs sécurisés, au deuxième jour de la trêve entre l’armée et les paramilitaires marqué par de nouveaux combats.

Mercredi, les combats se sont poursuivis à Khartoum où des colonnes de fumée noire s’élevaient en divers endroits, selon des habitants.

« Malgré les trêves successives, les civils vivent toujours sous la menace d’être tués ou blessés », a déploré à Genève le Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk.

Les médiateurs américains et saoudiens ont déclaré que « les combats semblent moins intenses à Khartoum » mercredi, mais que « des informations montrant qu’ils avaient violé » la trêve entrée en vigueur lundi soir ont été présentées aux émissaires des deux belligérants.

Le conflit qui a éclaté le 15 avril entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), du général Mohamed Hamdane Daglo, a fait plus de 1800 morts, selon l’ONG ACLED, plus d’un million de déplacés et plus de 300 000 réfugiés, selon l’ONU.

Le cessez-le-feu d’une semaine conclu en Arabie saoudite est censé créer des passages pour les civils et pour l’aide humanitaire, dont ont besoin plus de 25 des 45 millions de Soudanais, selon l’ONU.

Pillages et effondrement

Malgré les combats, plusieurs habitants de Khartoum ont raconté mercredi qu’ils avaient pu s’aventurer hors de chez eux. Mohammed Taher, 55 ans, a pu aller « jusqu’au grand marché de Khartoum », à cinq kilomètres de chez lui, « pour acheter à manger et revenir sans incident ».

Ali Mohammed n’a plus d’eau depuis le début de la guerre : « Elle n’est toujours pas rétablie, mais au moins, j’ai pu sortir acheter de l’eau pour faire boire ma famille », témoigne-t-elle.

« J’ai emmené ma mère chez un médecin, car cela faisait 20 jours qu’elle n’avait plus aucun médicament pour se soigner », a raconté un autre habitant de la capitale, Ihssan Dafaallah.  

Mais les humanitaires ne peuvent toujours pas accéder aux hôpitaux, quasiment tous hors d’usage, de Khartoum et du Darfour, dans l’ouest du Soudan, les deux zones les plus touchées par la guerre. Ceux qui n’ont pas été bombardés n’ont plus de stocks ou sont occupés par des belligérants.

« Un de nos hangars à Khartoum a été pillé », a annoncé Jean-Nicolas Armstrong Dangelser, de Médecins sans frontières (MSF). Les pillards ont « débranché les réfrigérateurs et sorti les médicaments : une fois la chaîne du froid rompue, ces médicaments ne pourront plus soigner personne », dit-il.

Les émissaires des deux camps continuent de discuter et « les préparatifs pour des mouvements d’aide humanitaire sont en cours », ont assuré malgré tout Riyad et Washington.

« Nous avons pu faire venir des équipes d’urgence, mais nous peinons à obtenir des permis de déplacement ou des visas pour des renforts », a affirmé MSF.

Pour le chercheur Alex de Waal, ce qui se joue aujourd’hui dans ce pays d’Afrique de l’Est, « c’est l’effondrement de l’État qui va transformer tout le Soudan en quelque chose qui ressemble au Darfour d’il y a dix ou quinze ans ».

La guerre qui a éclaté en 2003 dans cette région a fait 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés.

« C’est de cet environnement, où l’argent et les armes décident de tout, que le général Daglo est sorti » et avec lui ses milliers de miliciens Janjawids accusés d’atrocités et désormais intégrés au FSR, relève M. de Waal.

« Scénario somalien »

Yasser Abdelaziz, fonctionnaire à Chendi, dans le nord du pays, redoute « que le scénario à venir ne soit pas la Syrie, la Libye ou le Yémen », trois pays déchirés par des guerres meurtrières cette dernière décennie, « mais le scénario somalien avec des gens tentés par le racisme et le tribalisme ».

Les pays voisins, qui accueillent des dizaines de milliers de réfugiés, redoutent une contagion, notamment du fait des liens tribaux transnationaux, et réclament d’être intégrés aux négociations.

Sur le terrain, des milliers de familles continuent à fuir le Darfour vers le Tchad ou prennent la route de l’Égypte dans le nord. 300 000 Soudanais ont quitté le pays, selon l’ONU, tandis que plus de 800 000 autres se sont réfugiés ailleurs au Soudan.

Mais les camps de déplacés, qui accueillaient déjà 3,4 millions de personnes avant la guerre, sont pleins ou ont été détruits par les combats, rappelle l’ONU.