(Khartoum) Un juge a requis la mise à mort d’une jeune Soudanaise accusée d’adultère. Cette peine sera probablement annulée en appel, mais elle n’en illustre pas moins le retour de la féroce répression orchestrée par les islamistes depuis le coup d’État.

Le juge Haroun Adam, du tribunal criminel de Kosti, à environ 300 kilomètres au sud de la capitale, a requis, le 26 juin, la lapidation contre Shayma*. Une peine d’une telle sévérité qu’elle n’a jamais été appliquée au Soudan, même durant les 30 années de dictature militaro-islamiste, et que tous s’accordent pour la relier au coup d’État du 25 octobre qui s’est accompagné d’un retour en force des islamistes de l’ancien régime.

« Les militaires sont soutenus par les islamistes et le Parti du congrès national de l’ex-président Omar el-Béchir. Ce sont eux qui détiennent le réel pouvoir », résume Mossaad Ali, directeur du Centre africain pour les études sur la justice et la paix. Les putschistes ne cessent de balayer les timides avancées lancées par le gouvernement de transition qui a dirigé le pays à la suite de l’éviction de Béchir. En 2021, ce grand pays d’Afrique de l’Est a pourtant ratifié les conventions des Nations unies contre la torture et les disparitions forcées.

Un cousin meurtrier 

Mais le tandem militaro-civil aux manettes de l’État durant les deux ans de transition n’a jamais retiré la lapidation du Code pénal.

Ce châtiment est toujours inscrit dans la loi. C’est dangereux, car cela pourrait être appliqué dans des zones rurales qui ne sont pas sous les projecteurs, personne ne le saurait. Nous devons donc faire pression pour l’abolir et fermer la porte à une telle punition.

Mossaad Ali, directeur du Centre africain pour les études sur la justice et la paix

La lapidation est l’une des sanctions prévues en cas d’adultère. C’est précisément ce qui est reproché à Shayma. Pour cause, son cousin a surpris la jeune femme, âgée de tout juste 20 ans, dans les bras d’un autre homme, une situation qui n’étonne guère Sulima Ishaq, présidente de l’unité gouvernementale pour combattre les violences contre les femmes et les enfants. « La plupart des femmes qui sont mariées très jeunes n’ont pas leur mot à dire. Elles subissent le choix de leur famille », souligne la militante. D’ailleurs, Shayma souhaite divorcer et n’habite plus avec son mari.

PHOTO AUGUSTINE PASSILLY, COLLABORATION SPÉCIALE

La militante Sulima Ishaq note une augmentation des violences faites aux femmes depuis le coup d’État.

Or, cette liaison est rapidement sortie de la sphère privée. Le cousin voyeur a en effet assassiné l’amant de Shayma, qui a confessé sa propre relation extraconjugale. De quoi inciter un policier zélé à ouvrir une enquête à son endroit.

Un blanc-seing pour les violences faites aux femmes

Le jugement en appel devrait toutefois annuler la peine requise, car l’accusée a la possibilité de revenir sur ces aveux et quatre personnes différentes doivent témoigner de la relation sexuelle prétendument interdite, ce qui est impossible, détaille Sulima Ishaq.

La simple prononciation de cette peine n’en reste pas moins préoccupante. « Les fanatiques veulent renouer avec leur pouvoir et continuer à instrumentaliser l’islam pour terroriser la population comme ils l’ont fait pendant 30 ans », prévient Sulima Ishaq. La multiplication des abus perpétrés sur les femmes, y compris des passages à tabac en marge des manifestations prodémocratie, des viols et des arrestations arbitraires, tourne ainsi la page sur les quelques maigres acquis tendant vers l’égalité des sexes au lendemain de la révolution.

« Quand certains Soudanais voient un homme en uniforme taper une femme dans la rue, ils estiment normal de battre à leur tour leur femme, leur sœur, leur fille ou leur voisine. Cela procure un cadre légal pour violer les droits des femmes et les priver de liberté », ajoute la défenseuse des droits des femmes. L’ensemble des réformes censées améliorer la protection des femmes et des enfants a été suspendu depuis le putsch.

PHOTO AUGUSTINE PASSILLY, COLLABORATION SPÉCIALE

L’avocat Elshareef Ali Mohammed fait partie des juristes qui se mobilisent pour éviter que la lapidation soit appliquée.

Là encore, les islamistes sont montrés du doigt. « Ces nostalgiques de la dictature n’acceptent pas la disparition de leur récit », explique Elshareef Ali Mohammed, de l’ONG Sudanese Human Rights Initiative. Pour cet avocat spécialiste de la liberté religieuse, le cas de Shayma illustre à la fois « une absence d’indépendance judiciaire, un récit national qui demeure basé sur la charia, la non-application des normes internationales en matière de droits de l’homme et le contrôle absolu des hommes dans cette société très patriarcale ».

La Cour d’appel ne devrait pas se prononcer avant trois mois. En attendant, Shayma continue à craindre le pire. Dans le même temps, la junte militaire alourdit régulièrement son bilan. Au moins 115 « martyrs » sont tombés sous ses balles pour avoir réclamé la restauration d’un gouvernement civil.

* Nous faisons le choix de ne pas révéler son nom par mesure de sécurité.