(Paris) Le président français leur prête des « finalités prédatrices » au Mali et prévoit leur développement en Afrique. Les mercenaires russes sont devenus des acteurs majeurs de la géopolitique de Moscou sur ce continent, avec lesquels Paris refuse catégoriquement de coopérer.

Les sociétés militaires privées (SMP) russes, dont la plus connue est le groupe Wagner, ont fait l’objet de commentaires virulents d’Emmanuel Macron jeudi, au moment de l’annonce du retrait des forces françaises du Mali.  

Ces mercenaires « viennent essentiellement sécuriser leurs intérêts économiques et la junte elle-même », a-t-il affirmé, alors que le pouvoir malien dément leur présence. « Ils arrivent au Mali avec des finalités prédatrices […]. La junte […] considère que ce sont les meilleurs partenaires […] pour protéger leur propre pouvoir ».  

Ils seraient aujourd’hui 800 sur le sol malien, a estimé le chef de l’État. La junte dément quant à elle avoir recruté des mercenaires de Wagner.  

Entre 2016 et 2021, le Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) dont le siège est à Washington a trouvé de « fortes preuves » de la présence de SMP russes au Soudan, au Soudan du Sud, en Libye, en Centrafrique, à Madagascar et au Mozambique.

Mais également dans d’autres pays africains : Botswana, Burundi, Tchad, Comores, République démocratique du Congo, Congo, Guinée, Guinée Bissau, Nigeria, Zimbabwe. Une liste non exhaustive, d’autres sources parlant d’une vingtaine de pays.

« Défendre ses biens »

Officiellement, Wagner n’existe pas. Pas d’enregistrement, pas d’impôts, pas d’organigramme. L’Union européenne avait sanctionné en 2020 le milliardaire russe Evgueni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine et le financier présumé de Wagner. En décembre, elle a pris de nouvelles sanctions contre ce groupe quand se confirmait son arrivée au Mali. Moscou a accusé en retour les Occidentaux d’« hystérie ».

Alexeï Moukhine, le directeur du Centre de l’Information Politique à Moscou, convient que l’Afrique attire : « les intérêts de nombreux États, y compris de la Chine, y convergent. Et tout État a le droit de défendre ses biens commerciaux ! », affirme-t-il à l’AFP.

Les experts occidentaux soulignent, quant à eux, l’imbrication entre forces russes-services secrets, armée-et SMP. Sans que jamais la Russie ne se sente tenue de répondre de leurs actions.

L’idée pour elles, estime Catrina Doxsee, du CSIS, est de « permettre à Moscou d’étendre son influence géopolitique et de rétablir ses accords obtenus avant la chute de l’Union soviétique ».  

Le sommet Afrique-Russie en 2019 a constitué à ce titre un tournant : depuis, les SMP n’ont fait que s’y renforcer. « Il y a une politique africaine de la Russie, notamment dans la zone d’influence traditionnelle française », confirme Djallil Lounnas, chercheur à l’université marocaine d’Al Akhawayn.

Un business florissant

Les SMP contribuent à la conclusion de ventes d’armes russes et vont parfois les réceptionner elles-mêmes, constate Catrina Doxsee. Elles protègent les dirigeants en place et assurent la sécurisation de très rentables sites miniers.

Les clients « sont massivement des pays disposant de larges réserves de ressources naturelles, minérales et énergétiques », relève la chercheuse. Et des pays affaiblis sur le plan sécuritaire.  

« Les mercenaires en Afrique constituent une norme », assure Jason Blazakis, conseiller pour le Soufan Group, un groupe de réflexion siégeant à New York, citant la riche histoire des sociétés privées sud-africaines sur le continent. Mais aucune information n’est disponible sur leurs effectifs et leurs résultats financiers.  

Résultats incertains

« Il y a des contrats signés en pagaille avec le Mali », constate de son côté Djallil Lounnas, et ce sans conditions. « La Russie ne pose pas de questions sur la démocratie et les droits de l’Homme ».  

Leur approche de la sécurité est pourtant discutable. Des exactions leur sont attribuées. L’ONU enquête ainsi sur un massacre présumé en Centrafrique au cours d’une opération commune en janvier des forces armées et de Wagner. Son bilan fait état de 17 civils tués et d’un nombre non précisé de personnes déplacées.

Au-delà, les résultats pour l’État client ne sont pas toujours à la hauteur.

En Libye, les mercenaires russes se sont alliés au maréchal Khalifa Haftar, qui a tenté pendant un an de prendre Tripoli. Mais ils ont essuyé de lourdes pertes face aux supplétifs turcs soutenant le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj.

Et au Mozambique, ils ont reculé face au groupe djihadiste État islamique avant d’être remplacés par des Sud-Africains. « Ils n’avaient aucune expérience des terrains rencontrés » et ne communiquaient pas avec les troupes locales « pour des questions de langue et de défiance mutuelle », résume Catrina Doxsee.

« Ils étaient les moins chers, mais n’avaient pas la capacité de réussir », ajoute-t-elle, pointant du doigt « un nombre considérable d’échecs ».

Plus grave, le désordre et la crise servent leurs intérêts, fait valoir l’Américaine. « Si un pays comme la Centrafrique les emploie pour former ses troupes, il est de leur intérêt fondamental de s’acquitter de leur tâche juste suffisamment pour continuer à être employés ».  

Car « s’ils devaient parvenir à régler le conflit, ils ne seraient plus nécessaires ».