Le gouvernement éthiopien, sous forte pression des États-Unis, a finalement admis cette semaine, après des mois de dénégations, que des troupes érythréennes avaient été déployées dans le pays en appui à une offensive militaire lancée en novembre contre la province rebelle du Tigré.

Le premier ministre de l’Éthiopie, Abiy Ahmed, qui a rencontré jeudi le président de l’Érythrée, Isaias Afwerki, pour discuter de la situation, a assuré vendredi que son homologue avait accepté de rapatrier rapidement ses soldats alors que les allégations d’abus contre eux se multiplient.

Abiy Ahmed a assuré que les troupes avaient été déployées uniquement à proximité de la frontière entre les deux pays de manière à empêcher que le territoire érythréen ne soit la cible d’attaques du Front de libération des peuples du Tigré (TPLF), en guerre ouverte avec le régime éthiopien.

Martin Plaut, spécialiste de la région rattaché à l’Université de Londres, note que les soldats érythréens ont en fait été appelés en renfort par Addis-Abeba pour tenter de venir à bout des velléités indépendantistes des dirigeants tigréens et réduire les risques de balkanisation du pays, en proie à de vivres tensions ethniques. « Ils ont joué un rôle central dans les combats dans la Tigré », souligne l’expert.

PHOTO FOURNIE PAR LE BUREAU DU PREMIER MINISTRE DE L’ÉTHIOPIE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président de l’Érythrée, Isaias Afwerki, est allé à la rencontre du premier ministre de l’Éthiopie, Abiy Ahmed, jeudi pour discuter du retrait des troupes érythréennes du territoire éthiopien.

Le premier ministre Abiy, qui s’était vu attribuer le prix Nobel de la paix en 2019 pour ses efforts de rapprochement avec l’Érythrée après des années de guerre civile, a lancé l’offensive contre le Tigré après que le TPLF eut défié son autorité en tenant des élections locales non autorisées.

En plus de solliciter l’appui d’un contingent imposant de soldats érythréens, accusés par Human Rights Watch et Amnistie internationale d’avoir massacré des centaines de civils, le gouvernement a obtenu l’aide des Amharas, groupe ethnique ayant depuis longtemps maille à partir avec les Tigréens sur des questions territoriales.

Des milliers de combattants prêts

L’armée nationale et ses alliés ont rapidement progressé et pris avec une relative facilité le contrôle de la capitale du Tigré, Mekele, permettant au premier ministre de crier victoire dès la fin du mois de novembre.

L’annonce était cependant trompeuse puisque le TPLF, qui dispose de milliers de combattants lourdement armés, avait retiré une bonne part de ses troupes dans les montagnes voisines pour lancer une guérilla qui perdure.

« Ils peuvent frapper pratiquement à volonté les convois de ravitaillement gouvernementaux qui circulent dans la région sans avoir à subir la moindre perte. Ça peut durer comme ça des années », relève M. Plaut, qui s’inquiète de la possibilité que le conflit nourrisse les tensions interethniques en Éthiopie et mène à sa balkanisation.

Le modèle de « fédéralisme ethnique » mis en place en Éthiopie au début des années 1990, après la chute d’une junte militaire ayant longtemps fait régner la terreur, montre aujourd’hui ses effets potentiellement dévastateurs, explique le chercheur.

Le TPLF, qui faisait partie de la coalition de mouvements disparates ayant fait tomber les militaires, s’est adjugé un rôle déterminant dans le nouveau gouvernement central, tout en permettant à de nombreuses communautés minoritaires de se doter de leur propre administration régionale et de forces paramilitaires conséquentes.

L’emprise des Tigréens sur le pays a fini par nourrir l’insatisfaction de nombreux élus régionaux et a favorisé l’arrivée au pouvoir, en 2018, d’Abiy Ahmed, qui a accéléré la marginalisation politique de ce groupe ethnique et exacerbé du même coup les tensions ayant mené en novembre à l’éclatement d’un nouveau conflit militaire et à l’arrivée des troupes érythréennes.

Avant de reconnaître leur présence sur le territoire national et de promettre des poursuites contre les responsables d’exactions contre les populations civiles, y compris dans les rangs de l’armée éthiopienne, le premier ministre Abiy avait maintenu une attitude intransigeante, écartant toute solution négociée avec les « terroristes » du TPLF.

Washington met la pression

La pression croissante venant de l’administration du nouveau président des États-Unis, Joe Biden, qui appelle à un cessez-le-feu et réclame la fin des violations des droits de la personne, a cependant changé la donne pour le gouvernement éthiopien, dit M. Plaut.

« L’Éthiopie ne peut se permettre de perdre le soutien des États-Unis », souligne le chercheur, qui évoque notamment le fait qu’Addis-Abeba est en conflit avec le Soudan relativement au développement d’un important projet hydroélectrique.

L’agence Reuters rapporte que le premier ministre Abiy a assuré mardi devant le Parlement que son pays avait déjà « beaucoup de problèmes » et ne voulait pas de guerre avec son voisin.

« Il vaut mieux régler la crise d’une manière pacifique », a-t-il déclaré.