(Le Cap) L’Afrique du Sud a rendu dimanche un hommage officiel à son dernier président blanc mort le mois dernier à 85 ans, Frederik de Klerk, libérateur de l’icône Nelson Mandela aux yeux du monde mais homme politique indissociable des crimes de l’apartheid dans son pays.

Une assemblée sombre de quelque 200 personnes s’est réunie dimanche matin au Cap dans l’église protestante Groote Kerk, une des plus vieilles du pays. Dans le chœur orné de fleurs blanches, pas de cercueil mais un portrait entre deux cierges de l’ancien chef d’État, mort d’un cancer le 11 novembre dans sa maison en banlieue du Cap. La famille avait organisé des funérailles privées dans les jours suivant son décès.  

Le président Cyril Ramaphosa et la veuve de Frederik de Klerk, Elita Georgiadis, se sont installés côte à côte juste avant que ne retentisse dans la nef l’hymne national joué par l’orchestre philharmonique du Cap. La famille, des proches ainsi que des représentants politiques locaux mais seulement quelques membres du gouvernement étaient présents.  

De lourdes perles aux oreilles et autour du cou, la veuve de l’ex-président a doucement évoqué à la chaire un homme « souvent incompris à cause de son excès de correction » mais qui lui a donné envie « de l’aider à accomplir cette tâche énorme qui l’attendait ».  

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Le président Cyril Ramaphosa (L) remet le drapeau sud-africain à la veuve de Frederik de Klerk, Elita Georgiades.

En février 1990, dans un discours inattendu au Parlement, FW de Klerk annonce la libération de l’ennemi numéro un du régime blanc, Nelson Mandela, la légalisation du Congrès national africain (ANC) ainsi que des autres partis combattant le système ségrégationniste.

« Un acte de bravoure », a déclaré M. Ramaphosa dans son éloge funèbre, se raclant la gorge avant de prononcer quelques mots en afrikaans, la langue des descendants des premiers colons dérivée du néerlandais.

Pur produit du Parti national qui a mis en place le système d’apartheid à partir de 1948, Frederik de Klerk a senti la nécessité de changement : il annonce la fin du régime de domination blanche. Les premières élections démocratiques ont lieu en 1994, Nelson Mandela est élu premier président noir sud-africain.

Un an auparavant, les deux hommes qui avaient compris qu’ils pourraient « travailler ensemble », ont partagé un Nobel pour « le miracle » de la transition démocratique. L’Afrique du Sud, sous le coup de sanctions internationales au temps du régime raciste, redevient fréquentable.  

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Nelson Mandela et Frederik de Klerk ont reçu leur prix Nobel en décembre 1993.

« Contre son camp »

Avant le début de la cérémonie, un petit groupe de manifestants bardés de pancartes « Justice niée », « Justice pour les victimes de l’apartheid », a été rapidement évacué par la police.

Le décès de l’ancien président avait suscité des réactions mitigées dans le pays. Des déclarations publiques ces dernières années avaient terni son image auprès de certains Sud-Africains, qui lui reprochaient déjà de n’avoir jamais présenté d’excuses officielles pour les crimes de l’apartheid et d’avoir manœuvré pour l’abandon des poursuites.  

Le premier ministre britannique, Boris Johnson, avait lui salué un homme qui a « changé le cours de l’histoire ».  

M. de Klerk avait notamment déclenché une vive polémique en 2020, en niant que l’apartheid ait été un crime contre l’humanité, avant de présenter des excuses. Dans les jours suivant sa disparition, des militants ont égorgé un mouton pour « fêter » sa mort.  

Un message vidéo posthume diffusé par sa fondation quelques heures après son décès et dans lequel il regrette « la douleur, la souffrance, l’indignité et les dommages » de l’apartheid n’a pas suffi.

Des familles de victimes de crimes dont les circonstances n’ont jamais été éclaircies espéraient que le dernier président de l’apartheid donne des réponses. Leurs questions restent désormais en suspens.

« Ramaphosa a du temps pour les meurtriers, mais pas pour les victimes de l’apartheid », a lancé aux journalistes Cassiem Khan, qui a protesté devant l’église.  

Appelant à ne jamais oublier les injustices du passé, Cyril Ramaphosa, qui a solennellement offert un drapeau sud-africain à la veuve de FW de Klerk en fin de cérémonie, a rappelé le « rôle crucial » de cet ancien président qui a participé à libérer l’Afrique du Sud en allant « contre son propre camp ».