(Beni) Les troupes ougandaises engagées dans l’opération lancée contre les rebelles des ADF se sont renforcées mercredi dans l’est de la République démocratique du Congo, sous les yeux d’habitants partagés entre l’espoir d’en finir avec les atrocités et l’inquiétude de voir cette armée étrangère s’installer chez eux.

« Ils sont en train d’arriver avec des autos blindées, ils sont accompagnés de membres des services locaux de sécurité », a indiqué à la mi-journée à l’AFP Tony Kitambala, journaliste indépendant basé à Nobili (Nord-Kivu), à la frontière entre la RDC et l’Ouganda.

Bombardements

C’est là que les premières forces terrestres ougandaises ont été vues mardi entrer en territoire congolais, après des frappes aériennes et tirs d’artillerie ayant visé depuis l’Ouganda des positions des ADF (Forces démocratiques alliées), groupe armé auteur de massacres de civils dans l’est de la RDC et accusé par Kampala d’être responsable de récents attentats revendiqués par l’organisation djihadiste État islamique.

Les bombardements ont visé plusieurs positions des ADF dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, où un « état de siège » instauré par Kinshasa depuis début mai ne semble pas parvenir à mettre fin aux violences de multiples groupes armés, dont les ADF, le plus meurtrier.

« Nous avons bombardé des bivouacs des terroristes, dans la forêt », a déclaré mercredi soir le porte-parole des Forces armées de RDC (FARDC), le général Léon Richard Kasonga, lors d’un point de presse aux côtés des porte-parole du gouvernement et de la police.

Mais il n’a pas donné de bilan des actions menées jusqu’à présent. « Nous sommes sur le terrain pour des opérations en profondeur, quand nous aurons fini nous reviendrons vers vous », a-t-il dit.

« Durée de la mission ? »

« Les frappes aériennes des positions ADF ont continué hier soir », a précisé sous couvert d’anonymat un travailleur humanitaire également présent à Nobili, où la situation était calme mercredi. « Ce matin, l’UPDF (l’armée ougandaise) renforce ses troupes, avec des hommes, des munitions et des camions militaires », a-t-il ajouté.

Par ailleurs, selon un haut responsable militaire congolais, des renforts en hommes des Forces armées de RDC (FARDC) ont été dépêchés depuis le Sud-Kivu vers Beni, chef-lieu du Nord-Kivu.

Aucune indication n’a été fournie sur le nombre de soldats engagés, pas plus que sur la durée possible, le déroulement et le commandement des opérations, présentées comme conjointes et concertées par Kinshasa et Kampala, visant un « ennemi commun ».

« Il y a des facteurs qui sont “secret défense”, qui ne peuvent pas être communiqués à tout le monde », a justifié le général Kasonga.

« Je suis très content de l’arrivée des soldats ougandais chez nous », a déclaré par téléphone un habitant de Nobili, Jospin Dongo, en ajoutant : « seulement ce que je veux, comme ils sont entrés sans problème, c’est qu’ils terminent aussi en paix ».

« Pour moi, l’essentiel est que nous retrouvions la paix », appuie un autre, Mugisa Kitambala. « Mais il faut aussi qu’ils nous disent la durée de la mission et au nombre de combien ils sont entrés, pour qu’au retour on sache s’ils retournent bien chez eux ».

« Nation en danger ! », dit un prix Nobel

L’intervention de Kampala en RDC n’est pas bien vue par tous les Congolais, qui se souviennent du rôle joué par leurs voisins ougandais et rwandais dans la déstabilisation de l’est de la RDC depuis près de 30 ans. Fin 2017, l’armée ougandaise avait annoncé avoir lancé des attaques aériennes contre les ADF en RDC, mais il n’avait pas été question à l’époque de troupes au sol.

À l’annonce le week-end dernier d’une autorisation donnée par Kinshasa à l’armée ougandaise d’intervenir au Congo, une des critiques les plus virulentes est venue du Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix installé dans le Sud-Kivu. « Après 25 ans de crimes de masse & pillage de nos ressources par nos voisins », cet accord est « inacceptable », a-t-il tweeté. « Debout Congolais, Nation en danger ! », ajoutait-il.

« Les relations entre États évoluent », a répété mercredi le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya. « Nous comprenons les préoccupations de nos compatriotes » mais, a-t-il déclaré, « nous avons fait le choix d’avancer ».

Lundi, M. Muyaya affirmait qu’il n’y avait pas de troupes ougandaises au Congo, ce qui était vrai, a-t-il assuré mercredi. « La situation a évolué », a-t-il dit, ajoutant que l’action avait été déclenchée tôt mardi car des rebelles, ayant su que des opérations se préparaient, ont été observés quittant leurs positions. Il fallait les empêcher de fuir, ont expliqué les porte-parole congolais.

Les ADF, à l’origine une coalition de groupes armés ougandais, dont le plus important était composé de musulmans opposés au régime de Yoweri Museveni, ont été placés en mars dernier par les États-Unis parmi les « groupes terroristes » affiliés à l’EI, qui désigne le groupe comme sa « Province d’Afrique centrale ». Ils sont installés depuis 1995 dans l’est congolais.