(Khartoum) Les forces de sécurité ont tiré vendredi des grenades lacrymogènes contre des manifestants hostiles au coup d’État militaire au Soudan à la veille de manifestations annoncées comme monstres qui seront, a prévenu Washington, « un test » pour l’armée après la mort déjà de huit manifestants.

Depuis le putsch mené lundi par le général Abdel Fattah Burhane qui a coupé net les espoirs d’une transition démocratique dans ce pays miné par les conflits, les forces de sécurité ont régulièrement recouru à la force pour dégager les avenues de Khartoum barrées par les barricades des partisans d’un pouvoir civil.

Vendredi soir, elles ont tiré des grenades lacrymogènes sur des manifestants dans le nord de la capitale, ont indiqué des témoins à l’AFP, tandis qu’elles quadrillaient l’ensemble de Khartoum avec leurs blindés, en prévision de la mobilisation de samedi.

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De nombreux murets ont été installés par les citoyens dans les rues de la capitale soudanaise, Khartoum, dans une tentative de paralyser le pays après le coup d’État.

Depuis lundi, les balles réelles comme en caoutchouc ont régulièrement plu dans plusieurs quartiers de la capitale où au moins huit manifestants ont été tués et plus de 170 blessés par les forces de sécurité, selon des médecins.

Mais cela n’entame pas la détermination des protestataires, décidés à relancer la transition vers des élections libres dans un pays sous la férule des militaires de façon quasi ininterrompue depuis son indépendance en 1956.

A Omdourman, ils ont défilé vendredi par dizaines : « On se prépare pour demain, on va dire au monde qu’on veut une transition démocratique et pas de coups d’État militaires », affirme ainsi Taha Abderrahmane à l’AFP.

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Le général Abdel Fattah al-Burhan, en conférence de presse au lendemain du coup d’État du 25 octobre

Journée « test »

Les États-Unis ont exhorté l’armée à ne pas réprimer violemment les manifestations prévues samedi, prévenant qu’ils surveilleraient la réaction des généraux. Cette journée, a affirmé un haut responsable, « sera un vrai test sur les intentions des militaires ».

Les autorités ont beau couper l’internet, les manifestants s’organisent pour se retrouver à Khartoum et dans d’autres villes. Bien que syndicats et autres associations aient été dissous, ceux-ci continuent de mobiliser pour la « désobéissance civile » et la « grève générale » qui ont transformé Khartoum en ville morte depuis cinq jours.

Samedi, les opposants au putsch promettent « un million » de Soudanais dans les rues. Leurs slogans sont clairs : « Burhane, quitte le pouvoir » ou encore « Burhane à Kober ! »

Kober est la prison de haute sécurité à Khartoum, où est détenu aujourd’hui Omar el-Béchir, un général lui-même parvenu au pouvoir par un putsch et destitué par l’armée en avril 2019 sous la pression de la rue après 30 années de dictature.

Lundi, le général Burhane a totalement rebattu les cartes au Soudan, où civils et militaires s’étaient engagés après la chute de Béchir à s’associer au sein d’autorités intérimaires pour mener le pays vers des élections libres fin 2023.  

Le matin du putsch, des soldats ont raflé le premier ministre Abdallah Hamdok, la plupart de ses ministres et les membres civils du Conseil responsable de la transition. Le lendemain, M. Hamdok a été ramené chez lui, mais il n’est « pas libre de ses mouvements », selon l’ONU.

La cheffe de la diplomatie Mariam al-Sadeq al-Mahdi, le ministre de l’Irrigation Yasser Abbas et d’autres rares éléments encore libres du cabinet ont exprimé leur soutien pour la mobilisation contre le putsch et exigé la libération des dirigeants arrêtés.

Outre l’arrestation de nombreux responsables civils, les nouvelles autorités, cherchant à museler toute opposition au putsch, continuaient d’arrêter vendredi des figures politiques, des militants et même des passants.

Du côté des médias, les soldats ont pris d’assaut la télévision d’État dont le patron, partisan d’un pouvoir civil, a été limogé jeudi, et l’agence officielle Suna.

« Message clair »

Vendredi, le journal al-Democrati a été ciblé. Des soldats « ont obligé le gardien du bâtiment à partir, ils ont scellé la porte et lui ont dit de ne plus jamais revenir », a raconté l’un de ses journalistes à l’AFP, sous le couvert de l’anonymat.

La veille, ils ont mis sous scellés toutes les antennes des radios de la bande FM.

Face à cette répression, le général Burhane affirme, lui, que le Soudan « ne vit pas un coup d’État », mais « un redressement de la voie de la révolution ».

Mais la communauté internationale maintient la pression.  

Le patron de l’ONU, Antonio Guterres, a enjoint vendredi l’armée « à la retenue » face aux manifestants, tandis que le président américain Joe Biden a affirmé que « le peuple soudanais doit être autorisé à manifester pacifiquement ».

Et le Conseil de sécurité de l’ONU a réclamé jeudi « le rétablissement d’un gouvernement de transition dirigé par des civils », après que l’Union africaine a suspendu le Soudan et la Banque mondiale, fermé le robinet de l’aide.