(Khartoum) Le Soudan venait tout juste de retrouver sa place dans le concert des nations après des décennies d’isolement, mais le putsch mené par l’armée met un coup d’arrêt à sa réintégration et surtout à l’aide internationale, estiment des experts.

Premier signe concret mercredi, deux jours après le coup d’État du chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, l’Union africaine (UA) a suspendu le Soudan « jusqu’à la restauration effective » d’autorités de transition civiles.

Pour Alex de Waal, patron du cercle de réflexion World Peace Foundation, la transition civile promise en 2019 était l’unique lumière au bout du tunnel pour un pays englué dans le marasme économique et politique après 30 ans de dictature d’Omar el-Béchir.

En donnant des gages de démocratie, les autorités de transition « servaient l’intérêt national en menant un train, certes lent, de réformes avec une assistance internationale », affirme-t-il à l’AFP.

Elles avaient obtenu un allègement conséquent de la dette colossale du Soudan et la levée des sanctions de Washington qui a longtemps accusé le pouvoir Béchir de soutenir le « terrorisme ».

Ces autorités — le gouvernement d’Abdallah Hamdok, renversé lundi, et le Conseil de souveraineté formé de civils et de militaires dirigé par le général Burhane — se sont installées en août 2019 à Khartoum, quatre mois après la mise à l’écart du président Béchir sous la pression de la rue et de l’armée.

Désormais seul aux commandes du pays, le général Burhane a redit mardi son appui à la « normalisation avec Israël », semblant lancer un message indirect aux États-Unis.

En janvier 2021, le Soudan a signé les accords dits « d’Abraham » sur la normalisation des relations avec Israël et obtenu simultanément une aide financière des États-Unis, quelques semaines après le retrait de Khartoum de la liste américaine des États accusés de financer le terrorisme.

« Graves risques »

Mais cette main tendue est restée sans effet.

Car en coupant court à la transition démocratique avec l’arrestation de la quasi-totalité des dirigeants civils par les militaires, l’armée a franchi « un palier qui annonce de graves risques pour le Soudan », assure un rapport de l’International Crisis Group (ICG).

« Les généraux se sont entêtés malgré les mises en garde » des émissaires occidentaux qui se sont succédé à Khartoum jusque quelques heures avant le putsch, rappelle l’ICG.

En rétorsion, la Banque mondiale a suspendu mercredi son aide, Washington a gelé le versement de 700 millions de dollars et l’Union européenne a menacé de cesser son soutien financier.

Si ces décisions durent, « les progrès réalisés pour stabiliser l’économie seront réduits à néant », estime M. de Waal, dans un pays où l’inflation caracole à 365 %.

Et les soutiens qu’on prête au général Burhane ne suffiront pas, préviennent les experts.

« Même s’il a des appuis arabes, il ne pourra dégager qu’un peu de liquidités, sans pouvoir compenser l’aide financière massive » des bailleurs internationaux, affirme M. de Waal.

Et l’aspect financier n’est probablement qu’un moindre mal dans un pays parmi les plus pauvres au monde.  

En défendant leur coup de force, les généraux « font courir le risque au Soudan d’être extrêmement isolé », martèle-t-il. Ce pays risque de « retourner à l’époque où il était mis au ban par le reste du monde ».

Un « désastre » de plus

Mais surtout, prévient l’ICG, « des troubles longs au Soudan seraient un désastre supplémentaire » dans une région déjà déchirée par les conflits.

Une répression des manifestants anti-armée dans la rue engendrerait « une effusion de sang à Khartoum, mais aussi très certainement le retour de la guerre civile au Darfour (ouest) et Kordofan-Sud (sud) », deux régions meurtries par des années de conflits, renchérit M. de Waal.

Fin 2020, Khartoum a annoncé des accords de paix avec des groupes rebelles, mais les revendications locales pourraient ressurgir dans un pays où les armes circulent largement.

Pour empêcher les violences, l’UA doit encore augmenter la pression, préconise l’ICG et « explicitement menacer de gels des avoirs et d’interdiction de voyager les dirigeants autorisant à tuer des manifestants ou rétifs à revenir aux accords de transition ».

Quant aux pays arabes proches de l’armée soudanaise, comme l’Égypte ou les Émirats arabes unis, ils doivent faire jouer leurs relations. Car, affirme l’ICG, « ils ne gagneront rien à l’instabilité du Soudan ».