(Rabat) Les islamistes au pouvoir au Maroc ont encaissé une déroute historique lors des élections générales, un séisme attribué à l’assouplissement de leur ligne politique depuis la révocation par le roi de leur ex-chef charismatique Abdelilah Benkirane, selon des analystes.

Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste modéré) « a été sanctionné par sa ligne consensuelle sur les questions politiques, notable depuis l’éviction de son chef Abdelilah Benkirane », explique à l’AFP le politologue Ismaïl Hammoudi.

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Le parti islamiste Justice et développement ne s’est pas remis de la révocation par le roi de son ex-chef charismatique Abdelilah Benkirane, qu’on voit ici arrivant à un bureau de scrutin de lors des élections de 2016, à Rabat, au Maroc.

Le PJD s’est écroulé, dégringolant de 125 sièges dans l’assemblée sortante à 12, selon des résultats provisoires annoncés par le ministère de l’Intérieur jeudi, au lendemain du scrutin.  

Il a été très largement devancé par deux partis libéraux considérés comme proches du palais royal : le Rassemblement national des indépendants (RNI) de l’homme d’affaires Aziz Akhannouch arrivé en tête avec 97 sièges, devant le Parti Authenticité et Modernité (PAM, 82), sur un total de 395.

L’ampleur de la défaite des islamistes est d’autant plus inattendue que, malgré l’absence de sondages, médias et analystes jugeaient que le PJD jouerait encore les premières places.

« Ligne rouge »

Mais c’était sans compter avec les vives dissensions internes qui ont fissuré la cohésion du parti ces cinq dernières années.

Ces divisions se sont récemment cristallisées sur deux dossiers majeurs : la loi légalisant le cannabis thérapeutique — les députés du PJD ont été les seuls à voter contre – et la normalisation des relations avec Israël, une « ligne rouge » pour les islamistes.

Des désaccords qui ont même poussé l’influente aile religieuse du parti, le Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR), à « ne pas appeler ses membres à voter pour le PJD », note M. Hammoudi.

Depuis sa première participation aux législatives de 1997, le PJD avait poursuivi son ascension jusqu’à son arrivée au pouvoir en 2011 après les protestations du « Mouvement du 20 février » — version marocaine du Printemps arabe — qui réclamait la fin de « la corruption et du despotisme ».

Aujourd’hui, à la différence de l’Égypte et de la Tunisie où ils ont été écartés du pouvoir par des coups de force, le Maroc est le premier pays de la région où les islamistes sont battus dans les urnes.

Si M. Benkirane s’est illustré par une forte présence médiatique et ses incessantes critiques contre « l’État profond » marocain, son parti n’a jamais vraiment été en mesure de gouverner pleinement.

Ainsi, après les législatives de 2016, il n’avait pas réussi à former une coalition gouvernementale en raison des desiderata d’Aziz Akhannouch, patron du RNI arrivé pourtant quatrième du scrutin.

Des tractations infructueuses avaient plongé le royaume dans une crise politique inédite pendant plusieurs mois avant que M. Benkirane ne soit démis de ses fonctions par le roi et remplacé par le numéro deux du PJD, Saad-Eddine El Othmani, personnalité plus consensuelle.  

« Le choix du compromis par M. Othmani a été considéré comme une compromission », résume à l’AFP le politologue Mustapha Sehimi. Cet épisode a fortement fragilisé les islamistes.

« PJD au tapis »

« L’alliance entre le Maroc et Israël et la perte de son leader charismatique (Abdelilah Benkirane) orchestrée en 2016 ont été apparemment fatales » à « un PJD au tapis », constate Pierre Vermeren, professeur d’histoire à l’Université Paris 1.  

« Des résultats (électoraux) optimaux pour le palais qui attendait cela depuis 2011 », observe auprès de l’AFP ce spécialiste du Maghreb.

A cette date, le Maroc avait adopté une nouvelle Constitution accordant de larges prérogatives au Parlement et au gouvernement.

Toutefois, les décisions et orientations dans des secteurs clés restent l’apanage du roi Mohammed VI.

« Une nouvelle séquence s’ouvre avec des partis qui ne contestent pas les fondements du pouvoir et ont une proximité avec le roi », opine M. Sehimi.  

Première conséquence, toute la direction du PJD a démissionné jeudi et a appelé à un congrès extraordinaire « dans les plus brefs délais ».

« La réalité est que notre parti était une grande formation avec une petite direction au cours de la période récente », a admis une dirigeante du parti, Amina Maelainine, sur sa page Facebook.

Avant l’annonce des résultats provisoires, les islamistes ont fait état de « graves irrégularités », dont « la distribution obscène d’argent » à proximité de bureaux de vote.  

Le scrutin, marqué par un taux de participation en forte hausse (50,35 %), s’est déroulé « dans des circonstances normales », a répondu le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit, hormis « des cas isolés ».