(Tunis) « Le peuple veut » ! Universitaire spécialiste de la Constitution, le président tunisien Kais Saied, qui a considérablement renforcé son pouvoir, se réclame directement du peuple, en rupture avec les élites politiques et économiques.

Ce juriste assure vouloir des changements dans le strict respect des lois, et il a repris à son compte, ces dernières semaines, le slogan du Printemps arabe (« achaab yourid » : « le peuple veut ») pour appuyer la filiation dont il se réclame.

Il s’est servi d’un ample soutien populaire pour légitimer son coup de force du 25 juillet quand il a limogé le premier ministre Hichem Mechichi, gelé les activités du Parlement et s’est octroyé le pouvoir judiciaire. Il a formalisé ces pleins pouvoirs par une série de décrets et arrêtés publiés mercredi.

« Coup d’État ! » a protesté le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, principale force parlementaire. « Ils parlent de la légitimité alors qu’ils ne la respectaient pas ! » a rétorqué le président.

PHOTO FETHI BELAÏD, AFP

Longiligne et vêtu d’un éternel costume sombre, le président tunisien Kais Saied a un maintien guindé et une froideur apparente, qui n’empêchent pas une grande simplicité.

Dès son accession au pouvoir le 23 octobre 2019, cet austère théoricien de 63 ans s’est présenté comme l’interprète ultime de la Constitution, s’appuyant sur son expertise en droit constitutionnel – il connaît par cœur la constitution américaine – pour en appliquer une lecture toute personnelle.

Il a ainsi refusé en janvier de recevoir le serment de ministres pourtant validés par le Parlement, estimant que les soupçons de corruption pesant sur eux l’en empêchaient.  

« Robocop »

Avant son élection avec 72 % des voix sur fond de ras-le-bol de la classe politique au pouvoir depuis la révolution de 2011, le grand public le connaissait surtout pour l’avoir entendu analyser les premiers pas de la démocratie tunisienne, durant la rédaction de la Constitution adoptée en 2014, sur les plateaux des chaînes de télévision.

Décrit comme un idéologue, il s’est montré peu enclin à la négociation et aux compromis, même en pleine crise sociale ou sanitaire.

Crâne dégarni, visage de cire, longiligne et vêtu d’un éternel costume sombre, son maintien guindé et son débit saccadé qui lui ont valu le surnom de « Robocop », n’empêchent pas une grande simplicité.

Son mode de vie frugal a conforté son image d’homme irréprochable et incorruptible, et il a continué à fréquenter publiquement son quartier de classe moyenne.

En revanche sous sa présidence, le Palais de Carthage est devenu une forteresse opaque. Il s’est entouré de conseillers très discrets publiquement, dont sa cheffe de cabinet Nadia Akacha, jeune juriste influente.

Il y reçoit parfois des jeunes marginalisés venus plaider leur cause, qu’il réconforte d’une accolade appuyée.

PHOTO PRÉSIDENCE TUNISIENNE, VIA ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Dans ses visites dans les pays arabes, Kais Saied s’est inscrit dans la tradition des dirigeants nationalistes arabes. On le voit ci-haut lors d’une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite Faisal bin Farhan, à Tunis, le 28 juillet 2020.

M. Saied s’est illustré par des discours en arabe classique parfois peu compréhensibles pour le Tunisien de la rue.

Fils d’un fonctionnaire municipal et d’une mère éduquée, mais restée au foyer, le président a grandi à Radès, banlieue sud de Tunis.

Fruit de l’enseignement public, il est diplômé du prestigieux Collège Sadiki, comme de nombreux présidents avant lui.

« Professeur »

Kais Saied a incarné le renouveau après dix années de transition démocratique décevantes sur le plan économique et social en Tunisie.

Difficile à classer sur l’échiquier politique, il est ouvertement conservateur sur les questions de société - opposé à une dépénalisation de l’homosexualité et à l’abolition de la peine de mort -, mais il s’est retrouvé en opposition totale avec Ennahdha sur la gestion du pays.

Très critique du régime parlementaire et des compromis partisans, il martèle sa vision d’une décentralisation radicale du pouvoir et d’élus locaux révocables en cours de mandat.

Diplômé à 28 ans à l’académie internationale de Droit constitutionnel de Tunis, il a enseigné à la Faculté des sciences juridiques et politiques de Tunis de 1999 jusqu’à sa retraite en 2018.

Certains de ses partisans le nomment toujours respectueusement « professeur », même si l’homme n’a publié que peu d’ouvrages et n’a pas de doctorat.

Père de deux filles et d’un garçon, il est marié à une juge, admirée pour son élégance, mais apparue rarement à ses côtés.