Le président de la République française, Emmanuel Macron, a reconnu mercredi à Kigali la responsabilité de son pays dans le génocide rwandais de 1994 et a demandé pardon aux victimes tout en répétant que les dirigeants de l’époque n’avaient pas pris la mesure de la catastrophe qui s’annonçait.

« La France n’a pas compris qu’en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait au côté d’un régime génocidaire », assumant du même coup une « responsabilité accablante dans un engrenage » ayant abouti au pire, a-t-il plaidé.

Le chef d’État français a ajouté que son pays « avait le devoir » de regarder l’histoire en face et de « reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité ».

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Le président Emmanuel Macron, a signé jeudi le livre d’or du mémorial en l’honneur des victimes du génocide rwandais, à Kigali.

« Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner », a-t-il ajouté lors d’un discours prononcé devant un mémorial de la capitale où reposent les dépouilles de centaines de milliers de victimes du génocide.

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Paul Kagame, président du Rwanda, lors d’une rencontre bilatérale avec Emmanuel Macron au palais présidentiel de Kigali, jeudi

Le président du Rwanda, Paul Kagame, a salué les propos de son homologue français comme un acte de « courage exceptionnel » en relevant qu’il avait fallu beaucoup de temps pour parvenir à établir les faits.

Long processus de rapprochement diplomatique

Le mea culpa français, qui marque l’aboutissement d’un long processus de rapprochement diplomatique, survient quelques mois après la sortie en France d’un rapport qui montrait du doigt les « responsabilités accablantes » du pays dans le génocide rwandais.

Les auteurs du document avaient écarté dans leurs conclusions l’accusation de « complicité génocidaire » en relevant que « l’intention génocidaire » du régime rwandais de l’époque « n’était pas partagée par Paris ».

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Le 21 août 1994, des Hutus rwandais saluent le départ de troupes françaises à Cyangugu, dans le sud-ouest du pays.

L’État français, sous la gouverne du président François Mitterrand, a activement soutenu de 1990 à 1994 le régime hutu de Juvénal Habyarimana.

Des éléments extrémistes au pouvoir ont lancé le génocide après que l’avion dans lequel se trouvait le chef d’État africain eut été abattu en avril 1994, chapeautant sur trois mois l’exécution de plus de 800 000 Tutsis et Hutus modérés.

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Un rebelle tutsi du Front patriotique rwandais inspecte en mai 1994 le site de l’accident d’avion qui a tué le président Juvenal Habyarimana, à Kigali. L’avion dans lequel se trouvait le chef d’État du Rwanda de l'époque a été abattu en avril 1994.

Les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), qui étaient menés par Paul Kagame, ont pris le contrôle du pays en juillet et stoppé le génocide tandis que les responsables fuyaient vers la République démocratique du Congo, en même temps que des dizaines de milliers de civils hutus.

Guillaume Ancel, ex-soldat français qui avait été déployé au Rwanda à l’été dans le cadre d’une opération humanitaire controversée, se réjouit que son pays « reconnaisse enfin sa responsabilité dans ce qui s’est passé » après des années de silence ou de « dénégations » visant à imputer aux Tutsis la responsabilité ultime du carnage.

Je suis positivement choqué par ce qu’a dit Emmanuel Macron. Ce qu’il a fait était indispensable, c’était historique.

Guillaume Ancel, ex-soldat français

M. Ancel relève néanmoins que son pays a encore « beaucoup à faire » pour mettre pleinement en lumière son rôle et sanctionner les responsables.

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Des Hutus rwandais accueillent un détachement de marines français traversant un camp de réfugiés, près de Butare, dans le sud du pays, en juillet 1994.

« Il faut qu’on arrête de faire croire que la France n’a pas compris ce qui se passait », affirme notamment l’ex-militaire.

L’espoir d’une collaboration

Kyle Matthews, de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, pense qu’il est positif de voir la France reconnaître qu’elle a « une certaine responsabilité » dans le génocide.

Cette étape devrait permettre aux deux pays de « travailler ensemble » après des années de récriminations et d’affrontements et pourrait même favoriser à terme, dit-il, une plus grande ouverture démocratique du régime de Paul Kagame, qui mène le pays d’une main de fer depuis près de 30 ans. « Il ne faut pas être naïf, mais on peut espérer », souligne M. Matthews.

Des opposants connus du régime ont critiqué le peu d’importance accordée par le président français à la question des droits de la personne dans ses rapports avec Kigali, arguant que son silence relativement aux dérives autoritaires du régime « confine à l’autisme ».

« Pour Macron, il y a de bons dictateurs et de mauvais dictateurs », ont déploré Victoire Ingabire et Bernard Ntaganda dans une déclaration relayée en ligne.