(Addis Abeba) Une « guerre sale » qui touche des victimes « sans défense » se déroule au Tigré, région du nord de l’Éthiopie, a affirmé un général éthiopien lors d’une rencontre privée avec des diplomates, selon un enregistrement que l’AFP s’est procuré.

Ces propos du général Yohannes Gebremeskel Tesfamariam, chef d’une commission spéciale chargée par le gouvernement éthiopien de superviser le rétablissement de l’ordre au Tigré, tranche avec les déclarations du gouvernement, selon lequel la vie y a repris son cours normal.

C’est une guerre sale, car elle affecte tout. Il n’y a pas de fronts. Le prix est directement payé par ceux qui sont sans défense.

Le général Yohannes Gebremeskel Tesfamariam

Le haut gradé de l’armée éthiopienne a tenu ces propos lors d’une réunion d’information tenue le 11 mars dans la capitale régionale du Tigré, Mekele, et auquel participaient des dizaines de diplomates.  

« Concernant les atrocité, viols, crimes […] Je ne peux pas vous donner de preuves concrètes, mais je ne crois pas que nous aurons la chance de nous apercevoir que de telles choses ne sont pas arrivées. »

Il n’a pas indiqué qui seraient les responsables de ces atrocités alléguées.

L’enregistrement a été authentifié par deux participants. Contactée, l’armée éthiopienne n’a pas répondu aux demandes de commentaires de l’AFP.

Le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, a lancé début novembre une intervention militaire visant à renverser le parti au pouvoir dans la région, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), dont il a accusé les forces d’avoir attaqué des bases de l’armée fédérale.

Il a proclamé la victoire le 28 novembre, mais certains des dirigeants du TPLF, que le gouvernement veut tous voir désarmés et emprisonnés, sont en fuite et ont promis de continuer à se battre.

L’accès au Tigré s’est récemment amélioré, mais pendant des semaines, un blackout sur les communications et des restrictions de déplacement ont rendu difficile de connaître la situation sur le terrain.

Négociations

Le 11 mars, la plupart des diplomates accédaient à Mekele pour la première fois depuis le début des combats. Ils s’attendaient à visiter un hôpital et des sites d’accueil de déplacés tigréens, mais ont été cantonnés à cette réunion dans un hôtel.

Lors de cette rencontre, M. Yohannes a sous-entendu qu’il ne voyait pas comment une approche militaire pourrait venir seule à bout du conflit.  

« Je connais très peu […] de conflits ou de violences, ou dois-je dire de combats, qui se sont terminés seulement par les armes. Très peu », a dit ce général qui a commandé auparavant deux forces onusiennes de maintien de la paix.

Sans faire de proposition formelle, il a évoqué d’autres « mécanismes », citant par exemple des négociations et des appels au cessez-le-feu. « Je crois que c’est la porte de sortie. Je ne pense pas que nous échapperons à ce processus », a-t-il poursuivi.  

Lors de la réunion, l’ambassadeur du Soudan du Sud en Éthiopie, James P. Morgan, s’est interrogé sur les raisons de l’absence, pour le moment, de négociations de paix.  

« Je ne vois pas comment vous comptez en finir avec cette situation, parce qu’il me semble qu’il n’y a pas […] de négociations », a-t-il souligné, « mes frères éthiopiens, voulez-vous finir cette guerre ? Par quels moyens ? »

« Veuves et orphelins »

Depuis l’ouverture de l’accès à la région, ses habitants ont raconté aux organisations humanitaires et aux journalistes des massacres, des violences sexuelles et des assassinats de civils commis par les forces progouvernementales.

Des travailleurs humanitaires ont, eux, affirmé que le système sanitaire s’était en grande partie effondré et se sont inquiétés d’un risque de famine à grande échelle.

Agezew Hidaru, membre du gouvernement régional intérimaire du Tigré, a déclaré lors de la même réunion que, sur 226 dispensaires qui existaient dans la région avant la guerre, « pas plus de 20 » ne fonctionnent actuellement, et seulement 10 hôpitaux sur 40 sont opérationnels.

La plupart des 271 écoles secondaires du Tigré sont « totalement endommagées et pillées », a-t-il dit, précisant que certaines sont utilisées pour héberger les quelque 700 000 déplacés de la région.

M. Agezew a dit aux diplomates que les autorités ne connaissaient pas le bilan précis du conflit, qui n’a pu être établi de manière indépendante.

« Il y a des combats sporadiques çà et là. Nous ne savons pas combien de gens mourront ou sont déjà morts, donc un grand nombre de veuves, un grand nombre d’orphelins sont à prévoir dans les mois à venir », a déclaré M. Agezew.