Deux millions de filles pourraient être excisées au cours de la prochaine décennie, en plus des 4 millions déjà à risque chaque année, selon les prévisions de l’ONU, gonflées notamment par la pandémie – et la fermeture des écoles. Mais tout n’est pas sombre. Au Soudan, la donne est en train de changer. La mutilation est – enfin – devenue un crime, grâce au travail acharné de Samira Amin Ahmed Elamin. Portrait.

(Khartoum) Samira Amin Ahmed Elamin se bat depuis plus de 30 ans contre une pratique qui touche encore la majorité des Soudanaises. Trente ans. Le travail d’une vie. Mais son combat vient enfin d’être récompensé : le 10 juillet dernier, les mutilations génitales ont été criminalisées, passibles de trois ans d’emprisonnement. Et les premiers effets de la nouvelle loi se font maintenant sentir.

Elle insiste. Cette victoire n’est pas la sienne, mais émane d’un travail d’équipe long de plusieurs décennies. Samira Amin Ahmed Elamin a pourtant placé sa carrière sous le signe de la lutte contre l’excision. Un fléau qui concerne, d’après les derniers chiffres datant de 2014, près de 9 femmes sur 10 – 86 % des 15-49 ans précisément – dans son pays, le Soudan.

Cette mère de cinq enfants reconnaît que le chemin sera encore long avant d’éradiquer définitivement cette pratique. D’autant que, selon l’ONG Orchid Project, le confinement puis la fermeture prolongée des écoles à cause de la pandémie ont rendu, en Afrique de l’Est, « les filles confinées chez elles beaucoup plus susceptibles d’être soumises à l’excision, les communautés ayant la possibilité de mener ces cérémonies en secret ».

N’empêche : la machine légale est en marche. Un premier procès a été annoncé : une mère et une sage-femme comparaîtront prochainement devant le tribunal d’Omdurman, près de Khartoum, après qu’un père a porté plainte fin novembre contre son ex-femme qui a fait exciser leur fillette de 10 ans, six jours après leur divorce. Deux autres enquêtes sont également en cours.

Guerre de mots

« L’excision est avant tout une pratique culturelle », rappelle Samira Amin Ahmed Elamin. Mais en 1989, l’accession au pouvoir d’Omar el-Béchir aggrave la situation, alors qu’il impose une application rigoriste de la charia. « Ce gouvernement a demandé aux chefs religieux de la présenter comme un prérequis recommandé par le Prophète Mohammed. »

L’islamisation de cet acte conduit à passer sous silence les infections ou hémorragies parfois mortelles qu’il provoque et « qui ont été associées à la foi et au destin », raconte-t-elle.

Durant 15 années, militants et organisations internationales, dont l’UNICEF, s’acharnent à contrer cette désinformation. « Nous avons fini par nous intéresser aux termes employés pour désigner les femmes “non coupées”. Celui de “qalfa” est récurrent ; or, il sous-entend un comportement déviant. Nous devions donc trouver un autre mot pour faire accepter les femmes non excisées. » Émerge alors, en 2008, le concept de « Saleema », qui signifie « telle que Dieu l’a créée », précise la docteure. Rapidement, cette expression devient synonyme de fierté. Une victoire, bien que Samira Amin Ahmed Elamin appelle à ne pas la détourner de son intention initiale au risque de stigmatiser les femmes « coupées ».

L’excision déjà en recul

Cette initiative et la campagne de communication qui l’entoure dépassent désormais les frontières soudanaises, faisant espérer à l’une de ses toutes premières promotrices que son pays « devienne pionnier dans cette lutte en Afrique ».

Elle a aussi permis, selon Samira Amin Ahmed Elamin, de faire reculer la proportion de petites filles mutilées de près de deux tiers – ces résultats ne sont pas encore visibles dans les enquêtes nationales qui se concentrent sur les femmes en âge de se reproduire.

Il faut par contre attendre la chute du précédent gouvernement, évincé par la révolution de 2019, pour traduire ces actions sur le plan législatif. « Lors de la toute première réunion du Conseil national pour la protection de l’enfance avec la nouvelle ministre en charge du développement social, j’ai rappelé que deux sujets devaient être traités de manière urgente : la loi sur la criminalisation de l’excision et celle sur l’âge minimum du mariage. Sur le premier texte, déjà prêt, nous n’avons pas rencontré d’opposition au sein du nouveau gouvernement, même si des débats ont eu lieu sur les réseaux sociaux. L’amendement a été voté sept mois plus tard », se réjouit Samira Amin Ahmed Elamin.

L’implantation de cette loi prendra du temps. Mais l’anthropologue sait que la relève est assurée. Sans s’éclipser, elle inclut deux de ses trois filles, combattantes actives des mutilations génitales en tant que spécialiste de médecine interne et pédiatre, lorsqu’elle affirme que « nous pourrons mettre fin à l’excision d’ici 2030 ».